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From War to Genocide > Réédition

 

Continuer à avancer sur le difficile chemin de la vérité et de la justice

Au sortir de la guerre et du génocide, face au traumatisme causé par l’horreur des massacres et à l’impuissance assumée de la Mission d’assistance des Nations unies au Rwanda, les diverses instances de la communauté internationale se devaient de rendre des comptes. Une double exigence de vérité et de justice s’est imposée afin d’expliquer les causes et les enchaînements de ce désastre assumé et poursuivre les auteurs des crimes imprescriptibles de génocide, de guerre et crimes contre l’humanité qui ont été commis. Ainsi, en juillet 1994, dès la prise du pouvoir par le Front patriotique rwandais, le mouvement de rébellion armée des réfugiés tutsi créé en Ouganda, et la mise en place des institutions de transition, le lancement de nombreuses missions d’enquête internationale donnait corps à cet impératif. Puis, quelques mois après, la création du Tribunal pénal des Nations unies pour le Rwanda suppléait, le temps de sa reconstruction, le cadre judiciaire national anéanti.

Un travail de vérité et justice impressionnant mais partial

Pendant une quinzaine d’années, parallèlement à la reconstruction du pays, un impressionnant travail de vérité et de justice a été accompli dans des conditions difficiles à l’échelle nationale comme internationale dont l’ouvrage rend précisément compte. Pour autant, les innombrables rapports publiés et l’activisme judiciaire déployé n’ont guère apaisé les passions rwandaises. Après avoir évincé du pouvoir les rescapés de l’opposition démocratique de l’intérieur, les militaires du FPR avaient imposé dès le départ des limites très strictes et donné un caractère unilatéral en s’opposant à toute investigation nationale et internationale sur sa propre conduite de la guerre ainsi que sur les crimes de guerre et contre l’humanité dont il était lui-même accusé. Avec l’appui de ses soutiens américains, il avait ensuite obtenu en novembre 2005 du procureur du TPIR, l’arrêt définitif des poursuites envers les membres du camp vainqueur et pouvait lancer sa propre politique de justice populaire qui lui permit de poursuivre jusqu’au début des années 2010 près de 2 millions de Hutu.

Parmi les pans occultés de l’histoire officielle ainsi écrite figure bien évidemment l’élucidation de l’attentat contre l’avion présidentiel du 6 avril 1994 dans lequel périrent les plus importants dignitaires du régime Habyarimana. Un dossier polémique qui élude le débat sur la responsabilité du FPR d’avoir pris le risque de voir se commettre des massacres de grande ampleur. En effet, la reprise de la guerre ne relevait pas d’une décision hasardeuse ou imposée par la conjoncture. Elle était la traduction d’une politique mûrement réfléchie et préparée, évaluée et mise en œuvre, ayant fait l’objet de nombreuses annonces. Le FPR était alors sûr qu’aucune assistance militaire étrangère ne le priverait de la victoire comme lors de son offensive de février 1993. Mais aucun effondrement des institutions ou débandade du commandement militaire n’advint et le coup de force volontariste s’est avéré être une méprise aux conséquences tragiques.

Le risque de l’impunité généralisée

Aujourd’hui, alors que le président Paul Kagame vient de s’accorder la possibilité de se maintenir au pouvoir jusqu’en 2034 et qu’il a personnellement pris la tête de la contestation africaine envers les juridictions internationales, tout laisse penser que sa seule impunité présidentielle dissuadera durablement tous prolongements des enquêtes avortées ou dont les rapports ont été gelés au sein des instances internationales (IATA, ONU, Union africaine, …) tout comme les poursuites judiciaires restées pendantes envers des membres du camp vainqueur (ICTR, Espagne, France, …).

La conséquence inévitable de cette impunité sélective est qu’elle affaiblit la portée de l’ensemble du travail de vérité et de justice engagé. Ainsi, il n’y a plus guère de pays d’accueil de réfugiés rwandais qui envisagent de s’engager dans l’organisation de procès de « génocidaires » présumés, recherchés ou non, souvent protégés et recyclés. Ils n’apprécient pas plus d’être confrontés chaque fois aux polémiques récurrentes sur la crédibilité des mandats d’arrêt aux charges et preuves incertaines émis par le parquet général du Rwanda et la faible confiance accordées aux garanties de procès équitable au Rwanda en cas d’extradition. Plus sérieux encore, malgré l’activisme militant déployé par quelques ONG et les ambassades du Rwanda, la lassitude avérée des responsables politiques et judiciaires étrangers se prolonge désormais par le désintérêt grandissant du public et des médias envers ces procédures.

La question centrale de l’accès aux archives officielles

On peut alors légitimement s’interroger sur les raisons qui ont permis à tant d’énigmes entretenues liées au conflit rwandais de perdurer alors même que les principales puissances impliquées dans le conflit rwandais - France, États-Unis, Allemagne, Belgique, voire Grande-Bretagne et Canada sans oublier les pays voisins comme l’Ouganda - disposent assurément des informations susceptibles de les éclairer.

C’est pourquoi la liberté d’accès aux archives officielles internationales et nationales s’impose désormais avec force aux yeux des citoyens face au réalisme et à la solidarité complices qui ont toujours prévalu dans les instances internationales pour bloquer les dossiers qui les divisent, pour mettre sous embargo les informations qui contredisent les jeux de rôle des officiels “informés”  toujours en fonction.

Les conditions d’accès aux archives françaises ayant quelque peu progressé ces dernières années, on peut imaginer que les non-dits de l'implication de la France au Rwanda pourraient être levés dans un avenir pas trop lointain. De même, aux USA quelques avancées ont prévalu en 2014 dans le cadre de The Campaign for the United States Holocaust Memorial Museum consacrée au « Processus décisionnel international à l’ère des génocides ». Mais dans les deux cas, au-delà du retentissement médiatique lié à la déclassification de quelques archives, les documents pertinents relatifs aux échanges entre les personnels des services de la défense et du renseignement demeurent inaccessibles.

Une relance des débats sur les zones d'ombre du drame rwandais s’impose. C'est la plus importante dette qu'il reste à honorer vis-à-vis de toutes les victimes.

 

André Guichaoua

Professeur

Institut d'études du développement de la Sorbonne

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Initiates file downloadVous pouvez désormais accéder au Chapitre 10 de l'ouvrage en anglais, Les partis pris de l'ambassade de France, non repris dans l'édition anglaise et désormais traduit et téléchargeable.