Antoinette Blackwell

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  • Page mise à jour le 15/12/2015

La femme a-t-elle évolué? A partir d'Antoinette Blackwell.

 

Par Thierry Hoquet - BIOSEX

 

 

 

Courtesy of the Unitarian Universalist Association Archives

Qui est Antoinette Blackwell ?

 

 

Antoinette Blackwell  (1825-1921) n'est pas à proprement parler une biologiste. Elle est surtout connue pour avoir été la première femme à être ordonnée ministre du culte aux États-Unis (elle était unitarienne). Dans le mouvement féministe, elle incarne une voie proche de la foi chrétienne (unitarienne).
Dans le volume The Sexes throughout nature, une grande partie des essais porte sur le problème de l'éducation des femmes.
Si Blackwell intéresse toutefois le site BIOSEX, c'est qu'elle est considérée dans l'histoire de la biologie comme ayant donné la première critique féministe de la théorie darwinienne de la sélection sexuelle.

Pour plus de renseignements, cf. le Dictionnaire biographique universel des Unitariens :
www25.uua.org/uuhs/duub/articles/antoinettebrownblackwell.html
et la notice de Wikipedia :
en.wikipedia.org/wiki/Antoinette_Brown_Blackwell

L'importance de Blackwell : la biologie et le féminisme réconciliés ?
Blackwell est louée pour avoir, quatre ans seulement après la parution du livre de Darwin, The Descent of man and selection in relation to sex (1871), proposé d'amender la théorie darwinienne à l'aide de l'expérience féminine. Le but aurait été d'en faire une théorie plus conforme aux faits. Ainsi, Blackwell constituerait comme une tentative de réunir (to bridge) biologie évolutionnaire darwinienne et féminisme.
Le problème avec la théorie darwinienne est le suivant :
« Avec un grand luxe de détails, il [Darwin] a illustré sa théorie de la manière dont le mâle a probablement acquis plus de caractères masculins ; mais il ne semble jamais avoir pensé à regarder si oui ou non, les femelles avaient développé des caractères féminins équivalents. » (Blackwell p. 16).
Pour Blackwell, la doctrine de l'évolution n'implique pas la doctrine de l'infériorité de la femelle :
« L'évolution a donné et donne encore aujourd'hui à la femme une complexité croissante de développement qui ne trouve pas de champ légitime pour l'exercice de tous ses pouvoirs au sein de l'économie domestique. Il y a une vie à l'extérieur, plus étendue, et non plus élevée, qu'elle est forcée de pénétrer, pour y prendre aussi sa part de responsabilité. » (Blackwell, p. 135).
Ainsi, pour Griet Vandermassen,: « Blackwell était probablement la première à montrer que la connaissance de l'évolution peut être utilisée sur un mode libératoire : pour défendre l'égalité sociale entre les sexes. » (Griet Vandermassen, « Sexual selection : a tale of male bias and feminist denial », European Journal of women's studies, 11-1 (2004), pp. 9-26, ici : p. 13-14).
Mais la source première qui affirme la position de Blackwell entre biologie et féminisme, se trouve dans un livre de Sarah B. Hrdy, où elle affirme : « Le désaccord informé de Blackwell fut noyé par la vague d'adhésion populaire au darwinisme social. Sa contribution à la biologie évolutionnaire peut être résumée en une formule : la voie qui ne fut pas suivie (the road not taken) ». (The Woman that never evolved, Cambridge MASS, Harvard University Press, 1981, p. 13; tr. fr. Cathy Bernheim modifié par nous, La femme qui n'évoluait jamais, Paris, Payot-Rivages, 2002, p. 47).
En réalité, Hrdy se trouve stratégiquement un prédécesseur en Blackwell, car celle-ci a bien remarqué que dans la conception évolutionniste classique, la femme est supposée n'avoir pas évolué. Analysant les pensées de Darwin et Spencer, Blackwell a en effet une formule percutante :
« M. Spencer scientifiquement soustrait à la femelle, et M. Darwin aussi scientifiquement ajoute au mâle » (pp. 18-19). Pour Blackwell, Darwin s'est toujours préoccupé de savoir  comment les hommes avaient acquis de nouveaux caractères, sans toujours chercher si les femelles avaient également développé des caractères correspondants. Quant à Spencer, il a développé une théorie du développement arrêté des femelles.
Qu'en est-il en réalité de la relation entre Blackwell et l'évolution ?

Critique de la lecture classique de Hrdy
La difficulté de la position de Blackwell est qu'elle place une continuité entre les faits de la biologie et les valeurs qui organisent la société. Quand des auteurs « masculinistes » ou plus généralement masculins, tels que Spencer ou Darwin, tentent de fonder l'organisation sociale dans des données biologiques, cela suscite aujourd'hui des levées de bouclier. En revanche, une position comme celle de Blackwell est en général applaudie, en particulier quand elle conclut que l'évolution nous enseigne que c'est aux hommes de préparer les repas (Blackwell, p. 113). Les deux thèses pourtant reposent sur le même principe : l'idée qu'on peut déduire des leçons politiques et sociales de ce que nous apprend la biologie. Et c'est précisément ce principe qui est contestable, quelles que soient ensuite les conclusions que l'on veut en tirer.
Ensuite, la lecture que Blackwell donne de la biologie darwinienne est fausse à plus d'un titre. Bien sûr, Blackwell n'est pas la seule à ne pas comprendre Darwin et le principe de la sélection naturelle, loin de là. Mais force est de constater qu'elle ne comprend pas le darwinisme, et adhère pour sa part à une théorie du dessein intelligent qui ordonne l'évolution dans la nature.

L'hypothèse de l'égalité
Blackwell prend comme point de départ l'hypothèse de l'égalité :
« dans chaque espèce, comparées sur le même plan, de la plus inférieure à la plus supérieure, les sexes sont toujours de vrais équivalents — égaux mais non identiques dans leur développement et dans leurs montants relatifs de force normale. » (Blackwell, p. 12)
Pour établir ce dogme, dit-elle, il n'y a qu'une solution : en revenir aux faits.
Elle fait d'utiles remarques : la volonté de comparer des quantités ne doit pas conduire à une mathématisation étroite : il ne s'agit pas de mesurer du plomb et des rayons de soleil à la même aune. Si le lion est plus grand que la lionne, celle-ci est plus « hétérogène » en structures et en fonctions (p. 39).
Finalement tout son texte pose la question : qu'est-ce que déclarer qu'une forme est « plus évoluée » qu'une autre ?
Blackwell tente ensuite de déduire l'hypothèse de l'égalité à partir des faits naturels. C'est ainsi qu'elle écrit :
« L'antagonisme ou l'opposition de fonctions des sexes, bien que réel et continu, est en réalité un équilibre d'activités — un équilibre qui requiert qu'à tous les stages du développement, il y ait une équivalence virtuelle du sexe dans toutes les espèces. » (p. 41)
ou encore, dans un style difficile :
« La Nature est contrainte à fournir une dépense équilibrée entre les sexes concernant toutes les grandes divisions de force — pour maintenir non seulement dans chacun un équilibre différencié mouvant, mais aussi un équilibre plus général entre les deux. » p. 42.
Blackwell tente d'étayer l'hypothèse selon laquelle il existe « une proportion entre l'évolution d'une espèce et sa divergence sexuelle » (p. 25). La conséquence de cette thèse est que la divergence physiologique et comportementale entre les sexes devrait culminer dans l'espèce humaine. Blackwell doit pour cela nier le fait que le dimorphisme sexuel soit très prononcé chez certaines espèces d'insectes, qu'elle renvoie à une forme indéterminée (p. 26).

Blackwell et l'évolution
À partir de l'hypothèse de l'équilibre, Blackwell développe des tables d'équilibre (pp. 55-58, cf. document Blackwell 2), qui s'apparente plus à une mystique. L'essentiel de son texte consiste ensuite à explorer les formes que prend cet équilibre entre les différentes espèces ou taxa : elle établit des « balances de qualités » (cf. document Blackwell 4).
Elle affirme clairement sa croyance en un dessein intelligent dans la nature. (p. 62, cf. document Blackwell 3).
Quant au darwinisme en particulier, Blackwell rejette l'hypothèse de la sélection sexuelle au profit de la seule sélection naturelle (p. 31) : celle-ci « assurant à la fois la survie et l'avancement du plus apte, sélectionne graduellement des caractères secondaire ou indirects, qui permettent aux mâles moyens, et également aux femelles moyennes, de contribuer à l'avancement général de la progéniture. »

L'évolution n'est pas nécessaire à l'affirmation du féminisme de Blackwell. (cf. document Blackwell 5). Elle procède à partir de la page 231 à une comparaison entre Mill et des évolutionnistes. Mill, dit-elle, aurait pu écrire son texte à n'importe quelle époque : il n'est pas en relation avec la science de son temps et pourtant, il propose la libération des femmes ; Spencer et Darwin au contraire, développent une science nouvelle, mais c'est pour rejoindre les anciennes conclusions : ils parviennent « par des routes nouvelles, aux anciennes conclusions ». (p. 234).

Blackwell affirme donc une évolution du sexe dans la nature, mais sans rien de spécifiquement darwinien. Spencer est d'ailleurs autant commenté que Darwin.

On peut reprocher à Blackwell sa croyance métaphysique dans l'équilibre et l'harmonie de la nature. Mais il est frappant de constater qu'elle n'est pas unique en son genre. Ainsi, le botaniste J.D. Hooker, l'un des savants les plus proches de Darwin, croit quant à lui à une « loi de variation », de caractère très métaphysique.

Quelques citations de Blackwell, The Sexes throughout nature, 1875.

From the essay « Sex and evolution » :
p. 46 : « Division of function, then, is the origin of sex. It begins even lower down in the scale of beings than the perfect flower ; but the process in the flower is better known than elsewhere, and is brought up to so clear a differenciation that it is well adapted to be made the type and illustration of the division of function assigned to the sexes universally. The equivalent groups of opposed tensions unite in the embryo, work together, each adding like to like in balanced proportions of growth, and so maintain the organism to the end. »

p. 70 : « How, then, does Nature maintain a balance between these voracious female consumers and reproducers and the smaller males ? When the disparity in size is great, by selecting several males to one female. Polyandry is practised accordingly. It is a higher version of the relations of stamens to pistils. »

p. 79 : « But the females [of the warm-blooded Cetaceans] have progressed equally with the males, and have inherited the traditional feminine characters, with adapted complex organisms, though it seems to be almost certain that, as with other see animals, parental love must have been originally first developed in the males.
It was proved impossible to leave the mothers behind in evolution ; impossible to divert functions of direct nutrition from their normal development ! And parental love must precede nurture. In place of the multitudes of spawn left to chance for development, as with fishes, their few young ones are nursed with maternal care, and even with the instincts of intense and self-sacrificing affection. »

p. 94 : « Where female offspring inherit what may properly be considered as male characters, they belong generally to an active, vigorous race, and the males will be found often to have inherited in turn from the females. The reindeer is the only species in which the females have horns nearly as large as the males ; but they belong to an extremely hardy and active tribe, which, when tamed, are able to draw sledges with great speed and endurance. »

p. 99 : « … and it must not be forgotten that males and females are analogous in all details of fundamental development. The respiration, the nervous system, the bony skeleton, the generative organs, though all more or less modified in each sex, are advanced together ; so that the whole organism of each species is in direct sympathy with its complemental organism in the other sex. It becomes very probable, therefore, that all extra characters have some balancing function to perform, and are of positive utility to the race. »

p. 116 : « In brief, then, let woman take part in any human enterprise which is at once attractive, feasible, compatible with a fair division of family duties, and thoroughly honorable in its character. Let her choose her own work and learn to do it in her own way, instructed only to maintain the natural balance of all her many admirably-appointed faculties ; that she and her descendants after her may be alike subject to the laws of health. If anybody's brain requires to be sacrificed to those two Molochs, sewing-machine and cooking-stove, it is not hers ! Nature'''''s highest law is evolution, and no hereditary evolution is possible except through the prolonged maternal supervention. »

p. 122. « There is a convenient hypothesis that the intellect of the female, among all the higher orders of being, has acquired a development intermediate between the young of the species and the males, as their bodies and brains are intermediate in size. It is a theory closely akin to the time-honored assumption that the male is the normal type of his species ; the female the modification to a special end. Alos, it is nearly allied to any scheme of Evolution which believes that progress is affected chiefly through the acquirement and transmission of masculine characters. »

p. 126. « We have been told that Nature has intended no loss of feminine nutritive elements, but that she has blundered in her scheme, falling into the bungling device of helplessly allowing a great rythmical system of sheer wast and improvidence. As well insist that Nature never intended a child to play ! »

p. 136 [conclusion of Sex and evolution] : « If Evolution, as applied to sex, teaches any one lesson plainer than another, it is the lesson that the monogamic marriage is the basis of all progress. Nature, who everywhere holds her balances with even justice, asks only that every husband and wife shall co-operate to develop her most dilligently-selected characters. When she has endowed any woman with special talents, the balanced development of such a character requires the amplest exercise of these predominant gifts. »

p. 137 : « Men and women, in search of the same ends, must co-operate in as many heterogeneous pursuits as the present development of the race enables them
both to recognize and appreciate. »

 

From the essay « Sex and Work » :

p. 217 : « Work ! work ! In nothing else is there hope for man, beast, or vegetable, that would continue to live.  […] Nature has no royal road. Work with every faculty of the mind and with every muscle of the body ; this will give the nearest approximation to perpetual, universal youth. »

 

 

Quelques extraits du livre The Sexes throughout nature :

 

extrait 1 (pdf)

extrait 2 (pdf)

extrait 3 (pdf) 

extrait 4 (pdf)

extrait 5 (pdf) 

 

Crédits photo : Courtesy of the Unitarian Universalist Association Archives