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Biologie et féminisme.

 

Par Thierry Hoquet - BIOSEX

 

 

 

quelques articles résumés et commentés :

 

 

 

Marlene Zuk, « Feminism and the study of animal behavior », BioScience, 43-11 (1993), pp. 774-778.

 

Zuk, chercheuse en écologie comportementale, tente de réconcilier les féministes avec sa discipline. Elle indique comment le féminisme peut nourrir « l'espoir de suggérer une perspective plus large pour l'étude du comportement et de son évolution » (p. 774) : « Une conscience des biais peut nous aider à admettre la nécessité d'écouter une variété de voix, qui résultera en définitive dans une science moins biaisée et plus productive. » Zuk déclare donc s'adresser aux biologistes comme féministe, pour explorer les manières dont le féminisme peut affecter et, on l'espère, améliorer l'étude de l'évolution du comportement. »

 

L'article s'appuie principalement sur les travaux menés dans le champ de la primatologie. Il contient également la reproduction d'un sujet d'examen proposé par Robert Trivers à ses étudiants, où la création du monde commence par poser le principe de sélection naturelle puis par une première créature nommée « Ève ». Dans cette histoire, c'est Adam qui est créé à partir de la côté d'Ève. Zuk commente : « La question posée illustre comment les principes féministes peuvent étendre les possibilités conceptuelles des étudiants en biologie. » Trivers contestera cette interprétation. (cf. Robert Trivers, « Deriving females and feminism », BioScience, 44-4 (1994), p. 210.)

 

 

 

Robert Trivers, « Deriving females and feminism », BioScience, 44-4 (1994), p. 210.

 

Il s'agit de la réponse de Trivers à l'article de Zuk paru dans le même journal en 1993.

 

Il déclare en substance : « Je préfère dériver mes principes féministes de la biologie, que ma biologie évolutionnaire des principes féministes. » Le texte est une mise en garde contre les idéologies politiques qui veulent dicter à la science son programme de recherche.

 

 

 

Patricia Adair Gowaty, « Evolutionary biology and feminism », Human nature, 3-3 (1992), p. 217-249.

 

Ayant défini le féminisme comme « le mouvement qui veut en finir avec l'oppression sexiste », Gowaty indique comment l'esprit du darwinisme peut nourrir les luttes féministes : en particulier, par sa critique de l'essentialisme et l'insistance mise sur la variation.

 

De plus, Gowaty identifie un second point de convergence entre les luttes féministes et la théorie de la biologie évolutionnaire : ces deux approches ont souligné le rôle crucial du contrôle de la reproduction des femelles. 

 

L'article constitue un appel lancé à écologie comportementale pour qu'elle prenne en compte la réalité de la guerre des sexes (battle of the sexes) pour le contrôle des ressources, qui sont notamment essentielles à la reproduction des femelles : en particulier, il est possible que « la compétition entre mâles ne soit qu'un processus dérivé, subordonné à la compétition entre les mâles et les femelles » (p. 232).

 

Cela conduit à considérer différents facteurs, qui ne sont pas les deux facteurs identifiés par Darwin de la compétition entre mâles et du choix de la femelle (p. 233) : des forces qui s'opposent au choix de la femelle (forces anti-choix, c'est-à-dire de contrainte sexuelle), mais aussi les forces qui s'opposent à l'anti-choix (c'est-à-dire les forces de résistance).

 

Gowaty propose également de rapprocher la critique des illusions langagières, telles qu'elles sont dénoncées par des féministes comme Mary Daly, avec la mise en avant par des biologistes comme Robert Trivers, que les systèmes de communication biologiques ont parfois évolué de manière à tromper (cas du mimétisme ou du camouflage). Ainsi, Daly et Trivers racontent l'un et l'autre, chacun à sa manière, une histoire de tromperie et de dissimulation. (p. 237).

 

De là, Gowaty passe à une étude de la féminité et de sa difficile interprétation. La féminité désigne ici simplement un ensemble de comportements : ce que les femmes se font à elles-mêmes pour se rendre désirable aux hommes (il ne s'agit donc pas d'étudier l'évolution de certains caractères, ou de supposer un ensemble de gènes à l'origine de ces comportements). Globalement, Gowaty soutient que la féminité est une stratégie qui semble offrir aux femmes des avantages de court terme, en leur donnant un accès à des ressources, mais globalement, les effets en sont catastrophiques (économiquement, sexuellement, reproductivement) (p. 243). C'est pourquoi les femmes, individuellement et collectivement, semblent changer de stratégie. 

 

 

 

The Biology and Gender Study Group [Athena Beldecos et al.], « The importance of feminist critique for contemporary cell biology », Hypatia>

 

« La biologie n'est pas simplement un oppresseur privilégié des femmes mais une co-victime des présupposés sociaux masculinistes. » Ainsi, la critique féministe est présentée principalement comme un mode, parmi d'autres, de « contrôle expérimental » : une pratique donc conforme à l'esprit scientifique, et qui permet à la biologie d'éviter certains biais. Plusieurs domaines sont successivement passés en revue, et en particulier :

 

La saga du spermatozoïde qui le dépeint comme un héros courageux, qui doit éveiller un ovule présenté comme la belle au bois dormant (sleeping beauty).

 

(Ce thème sera développé par l'article d'Emily Martin, « The egg and the sperm : how science has constructed a romance based on stereotypical male-female roles », Signs : Journal of Women in culture and society, 16-3 (1991), pp. 485-501).

 

La sexualisation de la cellule, où l'on a identifié un élément « mâle » (le noyau) et un élément « femelle » (le cytoplasme). La question initialement posée était : qui contrôle quoi ? On a d'abord répondu : le noyau (mâle) contrôle un cytoplasme passif (féminisé). Le noyau a longtemps été vu comme le maître masculin de la cellule : on a parlé de Kernmonopol, monopole nucléaire. Désormais, on insiste plus sur les mécanismes cytoplasmiques. Cela s'est également accompagné d'une critique de l'ADN nucléaire, et de son rôle hiérarchique dans la construction de l'organisme.

 

La question des auteures est de savoir si l'on peut « dégenrer » (degenderize) la cellule.

 

 

 

Griet Vandermassen, « Sexual selection : a tale of male bias and feminist denial », European Journal of women's studies, 11-1 (2004), p. 9-26.

 

Vandermassen soutient la possibilité d'un féminisme darwinien. Son but est de montrer que « le féminisme refuse un outil précieux pour comprendre le sexisme, en dénonçant l'approche évolutionnaire de l'esprit humain » (p. 9). Elle prend la défense du concept d'anisogamie, dans la mesure où il ne soit pas limité au coût de production des gamètes mais soit élargi à l'ensemble des soins parentaux ; elle maintient la légitimité des postulats de Robert Trivers, notamment en s'appuyant sur l'inversion des rôles sexuels (cas où les mâles sont plus investis dans les soins aux jeunes). Si elle reconnaît sans peine qu'un « biais mâle » a pendant longtemps déformé l'écologie comportementale, elle souligne le rôle joué par toute une génération de primatologues féminines (et féministes) : Hrdy, Haraway, etc. Ainsi, le biais masculiniste a pu être largement corrigé.

 

C'est pourquoi Vandermassen appelle les féministes à ne pas ignorer le cadre conceptuel offert par la biologie évolutionnaire. Pour Vandermassen, il ne faut pas oublier que l'homme est une espèce biologique et qu'il doit à ce titre se soumettre à un ensemble de contraintes organiques (évolutives), de même qu'il est soumis aux contraintes physiques, telles que la gravitation. Les théories de la socialisation peuvent déterminer de quelle manière la structure de genre affecte les individus, mais elles ne peuvent pas « expliquer pourquoi les mêmes différences de genre se retrouvent, de manière fiable, à travers le monde. » (p. 20). Ainsi, en refusant d'investir la biologie évolutionnaire ou de s'appuyer sur son cadre conceptuel, « le féminisme se prive d'un cadre unificateur » et il se condamne à renouveler sans fin les débats sur l'essentialisme, ou la dialectique de l'égalité et de la différence — « tous problèmes qui ne sont que des pseudo-problèmes, si on les considère d'un point de vue informé par la biologie » (p. 20). 

 

 

 

Malin Ah-King, « Sexual selection revisited : towards a gender neutral theory and practice », European Journal of Women's studies, 14-4 (2007), p. 341-348.

 

L'article d'Ah-King est une réplique à l'article de Vandermassen. Elle rappelle de quelle manière la biologie évolutionnaire souffre profondément « d'un biais mâle (male bias). Elle met en avant les efforts de nombreux/euses chercheurs/euses en vue de produire une science qui souffre moins des biais de genre. Elle met en avant en particulier les efforts fait par les biologistes, au premier chef Patricia Gowaty. Elle conclut son article par un appel à l'intégration inverse : non pas la biologie dans le féminisme, mais des recherches de genre dans la biologie, de manière à la rendre « neutre à l'égard du genre (gender neutral). »