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SUITE de la Partie 3 : de gender à genre : une traduction impossible ?

 

 

«Transsexualisme»

 

Pour alors, en France, il n'est pas question que l'on puisse réaliser des opérations de changement de sexe sur demande de la personne, si celle-ci n'est pas considérée comme un « cas d'hermaphrodisme ». Le conseil de l'ordre des médecins rappelle d'ailleurs aux chirurgiens que toute opération « mutilante » est punie par la loi. Pourtant, il y a à l'étranger de plus en plus de praticiens qui accèdent à ces demandes.

Dans un article publié dans ce même numéro de la Revue Gynécologie Pratique, Alby se demande : « si l'on peut rectifier un nez, modifier la forme d'un sein, pourquoi ne pas accéder à la demande d'un transsexualiste, surtout lorsqu'elle est formulée de façon dramatique ? Mais ne risque-t-on pas de jouer à l'apprenti sorcier ? » (Alby, 1969 : 424).  Le problème, c'est bien cela, ce qui inquiète les psychiatres ce sont les implications sociales et légales car « Les désordres sexuels ont ceci de particulier, que leurs effets n'atteignent pas le seul sujet qui en est atteint mais se répercutent à l'ensemble du groupe social dans lequel il vit. » (Dubois, 1969 : 431).

Les psys français sont très critiques avec les opérations qui commencent a être pratiquées régulièrement au Maroc, en Suisse, dans les pays scandinaves ou aux Etats-Unis, et surtout, ils sont scandalisés par la place de sésame qu'occupent les psychiatres. «  Le professeur. Howard W. Jones [x] n'opère que les transsexuels qui lui sont confiés par les psychiatres, (ce qui ne manquera pas de traumatiser un peu les nôtres). » (Marcel, 1969 : 399).

Jusqu'en 1980, il sera totalement interdit d'opérer, les chirurgiens pouvant être condamnés par les articles 309 et 316 du code pénal pour coups et blessures ou pour crime de castration. A la même époque, pourtant, les castrations de types ovariennes, les circoncisions, ablations de l'utérus ou les opérations systématisées sur les intersexes (enfants et adultes) semblent poser moins de problèmes.

Tandis qu'aux Etats-Unis, les premières opérations de changement de sexe sont réalisées depuis 1965 dans divers hôpitaux et cliniques, en France, les personnes qui souhaitent se faire opérer et/ou être hormoné-e-s n'ont d'autres choix que de partir à l'étranger, et/ou de prendre des hormones avec un suivi médical plus que compromis.

Quant aux changements d'état-civil, ils sont totalement interdits, dû au principe d'indisponibilité de l'état de la personne. Or, en 1976, une première décision de justice favorable au changement de sexe à l'état-civil est rendue par le Tribunal de Grande Instance de  Toulouse et, en 1979, deux décisions également favorables au changement de sexe à l'état-civil, rendues publiques par  le TGI de Saint- Etienne, feront grand bruit. Un long dossier dans le quotidien du médecin titre alors, en mars 1980 « Transsexuels : la France s'oriente vers le modèle Danois ». Des juristes et psychiatres y discutent la notion juridique de « sexe psychologique » qui d'après eux n'a aucune pertinence, si ce n'est celle de permettre de voir affluer des demandes farfelues de changements de sexe, et la justice s'y perdre.

A cette période, les psys, en France, continuent de penser que les opérations  hormono-chirurgicales doivent être la dernière chose à autoriser, ces actes chirurgicaux étant absolument contre indiqués parce que « traumatisants » et surtout, parce qu'ils ont pour effets, de miner la raison d'être même des options thérapeutiques dans les « troubles de l'identité sexuelle ». Pourtant, déjà à l'époque, la grande majorité des études médicales tendent à montrer que, dans ces cas, les thérapies ne servent à rien. Or, même si la plupart des psys insistent sur le fait que le « transsexualisme » est inaccessible à la psychothérapie (les thérapies ne modifient pas le désir de changer de sexe), il y en a encore (et toujours) qui pensent qu'il existe des modes thérapeutiques de guérison. Dans un article publié dans les Annales Médico-Psychologiques en 1978, Marc Bourgeois passe en revue diverses publications récentes, dans lesquelles sont rapportées des cas de réussite thérapeutique ayant permis à des transsexuel-le-s d'abandonner leur idée de changer de sexe. Citons ainsi la première observation qu'il relate : une thérapie de type comportementale sur une jeune transsexuelle de 17ans.

Pour modifier le « comportement transsexuel », la thérapie comportementale commence par des « fading », c'est-à-dire qu' après avoir mesuré les changements de circonférence pénienne à la vue de photo d'homme et de femme, on introduit « du matériel hétérosexuel  pendant les périodes d'éveil sexuel » et pendant les « fantaisies homosexuelles » on impose des chocs électriques sur l'avant-bras. On passe ensuite au « modeling et video feedback » où l'on réapprend à la personne à marcher, s'asseoir et se tenir de façon plus masculine. L'expérience se poursuit par des mises en situation sociales viriles : la personne doit se mêler aux autres garçons et parler de filles ou de football, puis doit inviter une fille à sortir. On rééduque sa voix, on lui fait répéter tous les jours, à plusieurs reprises des phrases telles « j'aime être un garçon ». Enfin, on entraîne ses fantasmes à être hétérosexuels à l'aide entre autres de photos du journal playboy. (thérapie menée à terme par Barlow, Reynold et Agras, 1973).

Bourgeois raconte ensuite des thérapies « réussies » par conversions religieuses, par exorcisme ou par des thérapies individuelles et institutionnelles, c'est-à-dire avec hospitalisation psychiatrique (dans le cas présenté : d'une durée de 20mois) .

Enfin, il rapporte les expériences de Leslie Lothstein et son programme thérapeutique mis en place à la Gender Identity Clinic de Cleveland, où l'on « centre son effort sur la psychothérapie comme traitement de choix (...) pour aider le patient à s'adapter et à se stabiliser dans une solution non chirurgicale de ses problèmes » (Bourgeois, 1978 : 997-998). Le thérapeute doit jouer un rôle primordial et travailler la relation contre-transférentielle qui s'installera entre lui/elle et son/sa patient-e selon le sexe des protagonistes.

Bourgeois ne commente presque que les méthodes de Lothstein, dont il discute et remet en question la méthode, les diagnostics préalables et les résultats. Dans un autre article, il commentera à nouveau les théories de Lothstein, dont il réaffirme : « il nous a semblé trop engagé vers la tentative de dissuasion ( pour assurer le minimum de neutralité requise dans une entreprise à ambition psychothérapique). » (Bourgeois, 1980 : 477)

Mais, à partir du moment où en France des opérations furent considérées par la jurisprudence comme n'étant pas un crime de castration ou une mutilation, il devint envisageable d'opérer des transsexuel-le-s, de pratiquer des « réassignations hormono-chirugicales ». Dès lors, afin de protéger les médecins, en considérant le « transsexualisme » comme une maladie, un protocole rigoureux fut mis en place par une équipe médicale du service public à Paris. Paradoxalement, les protocoles s'inspirèrent largement des protocoles États-Uniens, ceux-là même qui horrifiaient quelques années avant les mêmes médecins.

L'équipe médicale devait comprendre un chirurgien, un endocrinologue  et un psychiatre. La première équipe constituée fut celle du Pr Jacques Breton à Paris, avec ses collègues Jean-Pierre Luton (endocrinologue) et Pierre Banzet (chirurgien). En 1979, Le chirurgien Banzet, avec l'accord du psychiatre et de l'endocrinologue, opérera pour la première fois,  à L'hôpital Saint-Louis de Paris, en s´appuyant sur le motif que la personne avait été diagnostiquée de façon collégiale comme étant « transsexuel », et que le traitement hormono-chirurgical semblait être le moyen de guérison le plus approprié. Depuis, en accord avec le code de déontologie médical, cette équipe prend en charge de façon « officielle » (elle s'est auto-proclamée « équipe officielle »), les opérations et les prescriptions hormonales pour les personnes en demande de réassignation sexuelle.  Il existe ainsi en France aujourd'hui, 5 équipes dites officielles (2 à paris, 1 à Bordeaux, Marseille et Lyon), reconnues par la sécurité sociale.

Notons que la même année, en 1979, l'université de Johns Hopkins ferma son programme de Sex Reassignment Surgery (SRS). Le nouveau directeur y était hostile et le rapport de 10 années d'études de Jon Meyer était très négatif. Après le suivi de 34 personnes opérées et 66 non opérées, il conclut que les opérations n'apportaient pas plus que les psychothérapies et la patiente, et il n'aurait constaté aucune différence quant à « l'adaptation sociale » de ces dernièr-e-s, si ce n'est la satisfaction personnelle et subjective. Or, dans ce cas, les opérations ne sont pas considérées comme un traitement mais comme une « procédure de convenance » (Bourgeois, Verdoux, Peyre, Benezech, 1990 : 779), et si les opérations sont bien acceptées et/ou prise en charge, c'est uniquement parce qu'il doit s'agir d'un « traitement médical » répondant à un trouble persistent de l'identité sexuelle (ou de genre).

Aux Etats-Unis, Norman Fisk le psychiatre du programme de SRS de la  Gender Dysphoria Clinic de Stanford s'empressera de rédiger la même année une mise au point basée sur son expérience à Stanford, qui s'appuie elle même sur 220 cas de patient-e-s opéré-e-s. Il y  réaffirme, au contraire de Jon Meyer, que la SRS s'avère bénéfique dans l'immense majorité des cas, à conditions d'établir avec soin des protocoles aux critères rigoureux pour sélectionner les patient-e-s.

 

Dysphorie de genre

 

Le terme de genre a finalement rencontré un certain succès en France, accolé au terme de dysphorie. En effet, dans la plupart des articles, les psychiatres préfèrent largement parler d'identité sexuelle que d'identité de genre, pour les raisons que nous avions évoqués dans la page précédente. Le genre « tout seul », synonyme de « sexe d' élevage » ou  de « sexe psychologique »  n'intéresse pas ou peu. L'identité de genre, en tant que perception d'appartenir à un sexe, semble réduire brutalement la complexité des enjeux sexués. En revanche, le terme finira par s'imposer, à partir du début des années 1980, lorsqu'il est troublé, lorsqu'il est problématique, c'est-à-dire dans la clinique des transsexuel-le-s. « La traduction française usuellement utilisée, identité sexuée demande à être précisée comme l'a illustré la perturbation de l'identité de genre que représente la transsexualité » ( Alby, 1996 : 16).

Finalement c'est par l'étude des transsexuel-le-s que le terme de genre commence à être employé. Aux Etats-Unis, les intersexes avaient permis à Money d'étudier et de fonder une théorie du développement du genre. En France, Alby se demande en 1996 : « la transsexualité pourrait-elle nous aider à comprendre l'identité de genre ? » ( Alby, 1996 : 16).

Depuis les années 1980, les psychiatres n'ont plus peur d'utiliser le terme, ils parlent aisément de « trouble de l'identité de genre » ou de « dysphorie de genre » dans tous leurs articles, et ces expressions cohabitent facilement avec des termes comme identité « sexuelle », « sexuée » ou « psychosexuelle ». Par contre, dans les mots clefs, gender et même gender identity ne sont que très rarement traduits par « genre ». Dans les traductions du DSM ( DSM III, III-R, IV et IV-TR : Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders de l'American Psychiatric Associacion), par exemple, gender n'est jamais encore traduit par genre. Enfin, certains ont encore quelques réticences vis-à-vis du concept de genre, même à côté de dysphorie. « Le terme dysphorie de genre tend aujourd'hui en France, à remplacer celui de transsexualisme (...) Si le mot de dysphorie dont la définition évoque les notions d'insatisfaction et d'inconfort paraît approprié, celui de genre est moins heureux : en français commun, on parle de bon et de mauvais genre,  de drôle de genre, de ceux qui font du genre, qui se donnent un genre, ce qui est assez péjoratif » (Caire, 1989 : 345).

 Nous l'évoquions, la Société Médico-Psychologique (SMP) est certainement celle qui s'est le plus intéressée au « transsexualisme », et c'est dans les Annales de la Société Médico-Psychologiques que l'on trouve le plus grand nombre d'articles sur « le transsexualisme ».[xi]

En fait, la SMP et surtout Marc Bourgeois n'y sont probablement pas pour rien dans la diffusion en France, des concepts de « trouble de l'identité de genre » et de « dysphorie de genre » dans la psychiatrie et la médecine en général, au début des années 1980. Il est curieux pourtant, de remarquer que cette période correspond en France, à la période où le terme de genre commencera petit à petit à circuler dans le vocabulaire féministe. Cela aurait pu être un argument supplémentaire, comme ça sera le cas en psychanalyse pour rejeter le terme, mais il n'en est rien. Il est très rarement fait allusion à ses usages féministes.

Les membres de la Société Médico-Psychologiques utilisent ainsi le concept de genre avec de plus en plus de facilités et le séjour de Marc Bourgeois en 1977/78 à la Gender Dysphoria Clinic,  dirigé par Norman Fisk, celui là même qui popularisa auprès de ses confrères l'usage du terme « dysphorie de genre » (gender dysphoria),  y est pour beaucoup.

« Il nous paraît essentiel de rappeler que l'identité personnelle constitue une notion complexe et d'admettre une distinction majeur entre le sexe (...) et le genre. Le terme de dysphorie de genre nous paraît tout à fait apte à éviter certaines discussions nosographiques inutiles en pratique » (Millet, Baux et Millet, 1996 : 438).

En effet, dans un article publié dans les Annales de la Société Médico-Psychologiques, Marc Bourgois raconte son « expérience américaine de la dysphorie de genre et de sa prise en charge dans un programme systématisé dans une optique de soins, de prévention et de recherche » (Bourgeois, 1980 : 473), à la Gender Dysphoria Clinic de Stanford. Il participe au programme d'étude qui, dans un premier temps, évalue les demandes de changement de sexe et, dans un deuxième temps, réalise des opérations de Sex Reassignment Surgery, (SRS ou en français THC traitement hormono-chirurgical), pour les personnes à qui l'on a préalablement donné le feu vert. Avec un recul de 10 ans concernant ce type d'opérations (à Stanford la première opération de SRS fut réalisé en 1968), Bourgeois conclut qu'il faudrait pour la France, adopter un modèle de protocoles calqués sur ceux des Standars of care de la Harry Benjamin International Gender Dysphoria Association, qui ont inspiré tous les protocoles états-uniens. Bourgeois est donc un des premiers en France,  à suggérer officiellement que les opérations de SRS devraient être autorisées. Par ailleurs, l'encadrement psychiatrique et thérapeutique qu'il préconise dans l'article, devrait pouvoir limiter les demandes et les autorisations de SRS. Il s'agit pour lui d'un traitement palliatif , puisqu'aucune thérapie semble pouvoir changer quoi que ce soit au désir de changement de sexe des transsexuel-le-s.

Comme nous le disions, c'est à cette période  que seront adoptés ces protocoles ayant pour but d'autoriser des opérations de « réassignation hormono-chirurgicale », le tout encadré par un dispositif strict qui dictera désormais qui entre ou n'entre pas dans la définition du « transsexualisme ».

« A l'instar des guidelines américains et comme l'a suggéré M.Bourgois depuis une quinzaine d'année, une équipe pluridisciplinaire de spécialistes ayant acquis une réelle expérience dans la prise en charge de ce type de patients a établi un protocole d'évaluation pour toute demande de THC » (Cordier, Chiland et Gallarda, 2001 : 191).

Aucune thérapie ne semble en finir avec le « transsexualisme », en revanche, les THC semblent causer plus de bénéfices que de torts aux personnes concernées. D'autre part, les psys commencent à se rendre à l'évidence que les personnes souhaitant changer de sexe, « ne renonceront pas devant les obstacles et trouveront toujours un chirurgien complaisant pour réaliser leur projet » (Bourgeois, 1980 : 478) ou dit en d'autres termes, s'il le faut, elles passeront par d'autres circuits ou iront à l'étranger, ce qu'elles font déjà.

Ce qui inquiète également les « grands spécialistes » du « transsexualisme », c'est aussi « d'être sollicité en fin de parcours et prié d'avaliser la transformation. (D'être) mis devant le fait accompli » (Bourgois, 1980 : 478). Cette crainte, les psys l'ont toujours : « Il est trop fréquent de voir arriver en fin de courses des patients suivis de manière fantaisiste par des endocrinologues ou des médecins qui se sont fait manipuler, et qui ont déjà des prescriptions hormonales qui ne permettent plus, le plus souvent de réflexion ni de retour en arrière, et écrasent tout discours » ( Bonierbale, 1998 : 248).

En fait, la transsexualité est en quelque sorte en train de se passer d'eux, ils sont purement et simplement mis à l'écart des parcours trans : un échec pour les psys en demande de protagonisme.  Surtout, la transsexualité est en train de devenir « un phénomène » qui échappe de plus en plus au contrôle médical.

C'est pourquoi les protocoles doivent permettrent d'encadrer les processus de changement de sexe et rendre aux psys leur place d'expert unique à solliciter. En procédant à un tri sélectif rigoureux, ils doivent, aussi et surtout, permettre de décider qui est ou n'est pas « transsexuel-le » selon leurs critères. Il s'agit enfin d'homogénéiser les discours sur le « transsexualisme » en créant une sorte d'Idéal-Type du transsexuel primaire « à la Stoller », auquel les « candidats à la réassignation » (c'est ainsi qu'ils et elles sont appelé-e-s dans les protocoles) devront se rapprocher le plus possible. Ceux qui n'y correspondent pas seront mis de côté. Ceux qui cadreront avec les attentes des diagnostiques viendront en même temps fonder et valider la catégorie « transsexuel-le », telle qu'ils la conçoivent.

Pourtant, ces mêmes psys sont nombreux, disent-ils, à ne jamais avoir rencontrer de « transsexuel-le primaire ». « Pour Serge Lebovici , psychiatre et psychanalyste, la pureté clinique de la forme décrite par Stoller comme transsexualisme primaire est très rare. (...) La psychiatrie française semble pourtant avoir repris cette opposition primaire/secondaire déplorent Czemarck et Frignet ». (Fautrat, 2001 : 35).

Il n'est pas étonnant dès lors, de les voir déplorer que les « candidats » sachent déjà en arrivant dans les cabinets des psys ce qu'ils doivent dire pour que leurs demandes soient entendues. « « Les transsexuels mentent », me dit l'un de mes confrères. En fait, ils tiennent le discours qu'ils imaginent être de nature à leur faire obtenir du médecin la transformation qu'ils demandent » ( Chiland, 2003 : 61). « Il est vrai que le médecin, même le médecin prescripteur, n'est pas d'emblée un allié inconditionnel dans l'exécution de leur projet. Il veut apprécier si le patient répond aux critères du protocole adopté en commission. » (Chiland, 2003 : 63-64)

En fait le « transsexualisme » est considéré en France, à la suite des Travaux de Stoller et de Fisk, et surtout, de ce qu'en a rapporté Bourgeois, comme la forme la plus extrême et la plus aboutie de «dysphorie de genre».

D'ailleurs, à la suite de ce dernier, le terme de « dysphorie » tend parfois à remplacer celui de « transsexualisme ». « Transsexualisme est d'ailleurs un bien mauvais terme : l'essentiel du problème concerne en effet l'identité (sexuelle ou de genre) du sujet d'où l'appellation plus appropriée de transgendérisme. En réalité, les spécialistes de la question emploient à la suite de Fisk et Laub (1974) le concept de Dysphorie de genre ... » ( Bourgeois, Verdoux, Peyre et  Benezech, 1990 : 775). Ces auteurs expliquent ensuite que la dysphorie de genre est un continuum, avec à l'extrémité le « prototype du transsexualisme primaire de Stoller ».

Cela peut paraître paradoxal si l'on sait qu'au départ, Stoller utilisait le concept de « transsexualisme primaire » pour ne réserver les opérations qu'à de très rares cas, tandis qu'avec « dysphorie de genre », Fisk élargissait l'accès aux changements de sexe à des profils moins rigides. Pour Stoller, le transsexualisme relève d'un diagnostique différentiel, et non d'un continuum. Il ne peut être inclus dans un continuum, il s'agit d'une entité discrète. «  Je n'utilise pas « syndrome de dysphorie de genre ».Tout d'abord, nous n'avons pas affaire à un syndrome - c'est-à-dire à un complexe de signes et de symptômes- mais plutôt à un désir ( souhait, demande), enchâssé chez toutes sortes d'individus différents qui ont toutes sortes de signes et de symptômes. Donc parler de syndrome de dysphorie de genre, c'est comme parler d'un syndrome de suicide, d'inceste ou de bougeotte. Ensuite, syndrome de dysphorie de genre se veut une réaction contre la tentative de diagnostic différentiel. L'étiquette équivaut à dire que les gens présentant des troubles de la masculinité et de la féminité constitue un continuum et non pas une série d'entités discrètes, comme cela est impliqué par un diagnostic différentiel »  (Stoller, 1989 : 275).

Or, en France, la catégorie de « transsexualisme » tend à être subsumée dans celle de « dysphorie de genre » alors qu'en même temps, elle fait toujours référence à la définition Stollérienne. Parfois même les deux sont utilisées comme synonymes.

Finalement, on entend par transsexualisme de plus en plus une sorte de pathologie croisée de « dysphorie de genre » à la Fisk et de « transsexualisme primaire » à la Stoller.

Quoi qu'il en soit, depuis 1980, les opérations hormono-chirurgicales sont autorisées et reconnues en France, bien qu'elles soient encadrées de manière extrêmement rigide, de façon à ce qu'elles ne se résument qu'à quelques cas exceptionnels, cadrant avec les définitions pathologisantes du « transsexualisme », ne remettant pas en cause les fondements de la différence sexuelle et du binarisme en matière de sexe et de sexualité.

Le concept médical de genre qui a pu faire peur en France dans un premier temps, a ainsi fini par s'imposer dans la clinique des changements de sexe, dès lors qu'il s'est accompagné d'un arsenal juridique et théorique permettant  de s'assurer que les « déviances sexuelles » resteraient dans le strict domaine médico-légal, à travers une pathologisation des types de développement des identités de genre.

 

 

 

 

Bibliographie

 

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[x]  Professeur de gynécologie et obstétrique à Johns Hopkins University school of medicine.

 

[xi] Voir le début de l'article  de Cordier, B, Chiland, Colette, Gallarda Thierry. 2001. « Le transsexualisme, proposition d'un protocole malgré quelques divergences. Annales Médico-psychologiques  159 : 190-5.

« Nous avons souhaité présenter cette communication devant la Société médico-psychologique et à Toulouse pour qu'elle prolonge une histoire. Depuis 1877, la Société médico-psychologique a manifesté de l'intérêt pour les troubles de l'identité de genre. Il y a eu plus d'une quinzaine de communications sur ce sujet. Citons Marandon de Montyel (1877), Gardien-Jourd'heuil (1948), Martin (1967), Carrère (1968), Léger (1968), Dubois (1969), Biéder (1974), Bourgeois (1978, 1980, 1983), Pringuey (1978), Moron (1980), Scherrer (1980, 1985), Misès (1980), Millet (1996) »