Biosex » Dossiers thématiques
  • Imprimer cette page

 

Le cerveau a-t-il un sexe ?

 

par Catherine Vidal

 Neurobiologiste

 Directrice de recherche  à l'Institut Pasteur

 

 

A la lumière des connaissances actuelles en neurosciences, on serait tenté de croire que les vieux préjugés sur les différences biologiques entre les hommes et femmes ont été balayés. Ce n'est manifestement pas le cas : médias et ouvrages de vulgarisation prétendent que les femmes sont " naturellement" bavardes et incapables de lire une carte routière, tandis que les hommes seraient nés bons en maths et compétitifs. Ces discours laissent croire que nos aptitudes, nos émotions, nos valeurs sont câblées dans des structures mentales immuables depuis les temps préhistoriques.

 

Il est temps de replacer le débat autour de la différence des sexes sur un terrain scientifique rigoureux au delà des idées reçues. L'enjeu est de comprendre le rôle de la biologie mais aussi l'influence de l'environnement social et culturel dans la construction de nos identités d'hommes et de femmes

 

 

 

Sexe et volume du cerveau

 

Au début du xixe siècle, les médecins anatomistes cherchaient a comprendre l'esprit humain à travers la forme des bosses du crâne et la taille du cerveau. On pensait que les hommes étaient plus intelligents que les femmes parce qu'ils avaient un plus gros cerveau. Certes les cerveaux des hommes pèsent en moyenne 1350 grammes contre 1200 grammes pour les femmes. Mais compte tenu des différences de carrure hommes / femmes, aucun des deux sexes n'a un cerveau plus gros que l'autre. De plus, il n'existe aucun rapport entre le volume du cerveau et les capacités intellectuelles. Des exemples fameux sont les cerveaux d'Anatole France et d'Ivan Tourgueniev : le premier pesait 1kg et le second 2kg !  En matière de cerveau, ce n'est pas la quantité qui compte mais bien la qualité des connexions entre les neurones.

 

 

 

Le cerveau a-t-il un sexe ?

 

La réponse scientifique est paradoxalement oui et non. Il existe des différences entre les cerveaux des hommes et des femmes dans les régions qui contrôlent la reproduction sexuée. Chez la femme, on trouve des neurones qui ont des activités périodiques en fonction du cycle menstruel, ce qui n'est pas le cas chez l'homme. Ces différences cérébrales sont donc directement liées à la physiologie des fonctions reproductives propre aux mâles et aux femelles.

 

Mais concernant les fonctions cognitives (raisonnement, mémoire, attention, langage), la diversité cérébrale est la règle, indépendamment du sexe. En effet, le cerveau n'est pas un organe comme les autres car c'est le siège de la pensée. Or pour que cette pensée émerge, le cerveau a besoin dans son développement d'être stimulé par l'environnement. Ainsi, au cours de sa construction, le cerveau intègre les influences du milieu extérieur, issues de la famille, de la société, de la culture. Il en résulte qu'hommes et femmes ont des cerveaux différents, mais au même titre qu'on trouve des différences entre les cerveaux d'individus d'un même sexe.

 

 

 

Cerveau gauche, cerveau droit

 

On entend souvent dire que les femmes seraient plus douées que les hommes pour faire plusieurs choses à la fois grâce à une meilleure communication entre les deux hémisphères. Cette vision caricaturale remonte à une étude datant de plus de 20 ans qui montrait que le faisceau de fibres nerveuses qui relie les deux hémisphères (le corps calleux) est plus épais chez les femmes. Depuis, de nombreux travaux ont été faits sur des centaines de sujets avec des techniques très performantes comme l'IRM : aucune différence statistique entre les sexes n'a pu être démontrée. On peut faire le même constat dans les études comparant le fonctionnement du cerveau dans le langage, le calcul mental, la mémoire etc. En fait, dès que l'on dispose d'un nombre suffisamment élevé de sujets, les différences individuelles l'emportent sur les différences entre les sexes qui finalement se trouvent gommées.

 

 

 

Différences entre les sexes et plasticité cérébrale

 

Les nouvelles techniques d'imagerie cérébrale comme l'IRM, ont révélé l'existence de très grandes variations entre les individus dans l'anatomie et le fonctionnement du cerveau, indépendamment du sexe. Cette variabilité s'explique par les extraordinaires propriétés de "plasticité" du cerveau. Nos circuits de neurones sont en effet largement fabriqués par l'apprentissage et l'expérience vécue. Quand le nouveau-né voit le jour, son cerveau compte 100 milliards de neurones, qui cessent alors de se multiplier. Mais la fabrication du cerveau est loin d'être terminée, car les connexions entre les neurones, ou synapses, commencent à peine à se former : seulement 10 % d'entre elles sont présentes à la naissance ; les 90 % restants se construiront plus tard au gré de l'histoire vécue par chacun. Par exemple, chez les pianistes, on observe un épaississement des régions spécialisées dans la motricité des doigts, dans l'audition et la vision. De plus, ces changements sont directement proportionnels au temps consacré à l'apprentissage du piano pendant l'enfance. La plasticité cérébrale est à l'oeuvre également pendant la vie d'adulte. Ainsi chez des sujets qui apprennent à jongler avec trois balles, on constate après deux mois de pratique, un épaississement des régions spécialisées dans la vision et la coordination des bras; et si l'entraînement cesse, les zones précédemment épaissies régressent. Ces exemples permettent de comprendre pourquoi nous avons tous des cerveaux différents, y compris les vrais jumeaux. Il n'est donc pas étonnant de voir des différences cérébrales entre hommes et femmes qui ne vivent pas les mêmes expériences dans l'environnement social et culturel.

 

 

 

Langage et orientation dans l'espace

 

Des tests psychologiques montrent que les femmes réussissent souvent mieux les exercices de langage, alors que les hommes sont meilleurs dans l'orientation dans l'espace. Mais cela ne signifie pas que ces différences d'aptitudes sont présentes dès la naissance et qu'elles sont immuables. Dans les pratiques éducatives, les petits garçons évoluent davantage que les filles dans la "sphère publique". Par exemple, ils sont plus souvent à l'extérieur et pratiquent des jeux collectifs de plein air comme le football, qui est particulièrement favorable pour apprendre à se repérer et à mémoriser l'espace. Ce type d'apprentissage chez le jeune enfant est susceptible d'agir sur le développement du cerveau, en facilitant la formation de circuits de neurones spécialisés dans l'orientation spatiale. En revanche, cette capacité serait moins sollicitée chez les petites filles qui restent davantage dans la "sphère privée", à la maison, situation plus propice à utiliser le langage pour communiquer.

 

 

 

Hormones sexuelles et cerveau

 

Chez l'animal l'action des hormones sur le cerveau induit les comportements de rut et d'accouplement associés aux périodes d'ovulation de la femelle. Sexualité et reproduction vont de pair. Par contre, l'être humain échappe à ce déterminisme. Le fonctionnement des organes sexuels est certes lié aux hormones, mais pas le moment des rencontres, ni le choix du partenaire. Ainsi, les homosexuels, hommes ou femmes, n'ont aucun problème hormonal. Les délinquants sexuels n'ont pas un taux supérieur de testostérone. Quant au rôle des hormones sexuelles sur les humeurs, la nervosité, la dépression, il faut distinguer deux types de situations. Dans des cas de bouleversement physiologique majeur (grossesse, ménopause,  pathologies hormonales) on peut constater des fluctuations d'humeur. Mais dans des conditions physiologiques normales, aucune étude scientifique n'a montré de relation de cause à effet entre les taux d'hormones et les variations de nos « états d'âme ». Prétendre que c'est la testostérone qui fait les hommes compétitifs et agressifs tandis que les oestrogènes rendent les femmes émotives et sociables, relève d'une vision simpliste, bien loin de la réalité biologique. Si dans un groupe social, hommes et femmes tendent à adopter des comportements stéréotypés, la raison tient d'abord à une empreinte culturelle rendue possible grâce aux propriétés de plasticité du cerveau humain.

 

 

 

Cerveau, sexe et évolution

 

Les progrès récents des neurosciences permettent de mieux comprendre pourquoi l'être humain échappe à la loi des hormones. L'Homo sapiens  possède un cerveau unique en son genre lié au développement exceptionnel du cortex cérébral, siège des fonctions cognitives les plus élaborées : langage, raisonnement, conscience, imagination. Au cours de l'évolution, le cortex a du se plisser en formant des circonvolutions pour arriver à tenir dans la boîte crânienne. Si on le déplisse virtuellement, on constate que la surface du cortex cérébral humain est de 2 m2 sur 3 mm d'épaisseur ! C'est 10 fois plus que chez le singe. De plus, notre cortex est beaucoup moins réceptif à l'action des hormones. Voilà pourquoi l'être humain est capable de court-circuiter les programmes biologiques dépendants des hormones. Chez nous, aucun instinct ne s'exprime à l'état brut. La faim, la soif ou le désir sexuel sont certes inscrits dans l'évolution biologique, mais leurs modes d'expression sont contrôlés par la culture et les normes sociales. Nos comportements relèvent d'abord et avant tout de constructions mentales.

 

 

 

Conclusion

 

Le développement du cerveau humain est ancré dans la biologie mais les circuits neuronaux sont essentiellement construits au gré de notre histoire personnelle. Si d'ailleurs les contraintes biologiques jouaient un rôle majeur dans les comportements des hommes et des femmes, on devrait s'attendre à observer des traits invariants communs à toutes les civilisations partout sur la planète. Ce n'est manifestement pas le cas. Que l'on se place à  l'échelle individuelle ou de la société, il n'apparaît pas de loi universelle qui guide nos conduites. La règle générale est celle de la diversité culturelle, rendue possible par les formidables propriétés de plasticité du cerveau humain. Rien n'est jamais figé dans le cerveau. Comme le disait le peintre Francis Picabia :« Notre tête est ronde pour permettre à la pensée de changer de direction ».

 

 

 

Bibliographie pour en savoir plus:

 

 

- Catherine Vidal et Dorothée Benoit-Browaeys. 2005. Cerveau, sexe et pouvoir Paris, Editions Belin.

Prix de l'Académie des Sciences Morales et Politiques, palmarès 2006

 

 

- Catherine Vidal (sous la direction de ). 2006. Féminin/Masculin : mythes et idéologie. Paris, Belin. 

 

 

- Catherine Vidal. 2007. Hommes, femmes : avons-nous le même cerveau ?  Paris, Editions Le Pommier.

 

 

- "Cerveau, sexe et liberté" Editions Gallimard/ CNRS, DVD Collection "La recherche nous est contée", 2007