Comment définiriez-vous l’e-réputation et quels sont les enjeux aujourd'hui ?
"L’e-réputation, c’est d’abord les traces visibles d’un sujet sur internet. Ces traces peuvent être volontairement produites, mais également induites, c’est-à-dire produites par des tiers. S’agissant des enjeux qui en découlent, tout dépend de l’angle sous lequel on regarde. Si on se place au niveau d’un individu, le premier enjeu est communicationnel. Le “personal branding” correspond ainsi à considérer une personne comme une marque à valoriser. Mais si on prend de la hauteur, on se rend compte que l’e-réputation affecte l’identité d’un individu. Le sociologue américain Erving Goffman avait été le premier à nous montrer que tout individu est constitué d’une pluralité d’identités : vous êtes, par exemple, l’enfant de vos parents, le partenaire de votre conjoint, mais encore un salarié de votre entreprise et, jusqu’à présent, ces différentes identités étaient cloisonnées. Aujourd’hui, à travers le web, la pluralité d’identités qui caractérise un individu se retrouve dans un même espace. Le véritable enjeu pour un individu est d’y faire cohabiter ses différentes identités. Le troisième enjeu est juridique, avec la protection des données personnelles. Aujourd’hui, on signe parfois des “chèques en blanc” numériquement. Lorsqu’on rencontre un problème avec un géant du net, américain en général, les droits de différents territoires se trouvent en conflit. Comment faire cohabiter ces droits, en sachant que deux paradigmes s’opposent : en France et en Europe, de manière générale, on va privilégier la protection de la vie privée, alors qu’aux Etats-Unis, c’est le droit à l’information qui est privilégié. Ces questions font l’objet de nombreux débats. Pour une entreprise, en revanche, il s’agit plutôt de se demander si l’e-réputation de sa société est une menace ou une opportunité, plutôt que de s’intéresser à la question de “privacy”. L’enjeu est d’éviter de subir une communication non désirée. Il faut être acteur de sa communication, et il est nécessaire de déployer son propre écosystème web."
Dans l’ouvrage collectif que vous avez dirigé “E-réputation, regards croisés sur une notion émergente” (Lextenso éditions, 2015), vous affirmez que l’e-réputation est un enjeu de société…
"Aujourd’hui, que vous soyez actif sur le web ou non, l’e-réputation est un phénomène qui nous concerne tous. Tout le monde peut en effet poster des contenus sur vous sur internet. Mais la liberté de communication des uns n’est pas sans conséquence sur l’e-réputation des autres. En outre, ce que j’appelle la “colonisation numérique” est quelque chose qui peut se faire à votre insu. Il s’agit d’un enjeu de société car les traces numériques que nous laissons aujourd’hui sont en quelque sorte indélébiles. On pourrait penser qu’il y a une masse si importante de flux qu’au bout d’un certain moment, ces traces vont s’effacer, mais c’est faux. Quel impact social et sociologique peut avoir l’identité numérique d’une personne, créée dès sa vie intra-utérine, sur elle à l’âge adulte, quand on sait que des parents “partagent” leur échographie sur les réseaux sociaux par exemple ? Il s’agit là d’un réel enjeu de société et tout un chacun doit façonner son identité numérique de telle sorte que les contributions des uns et des autres n’engendrent pas une e-réputation subie. "
Comment construire et maîtriser son image personnelle sur le web ?
"Dans une logique professionnelle, il faut dans un premier temps développer un “écosystème web” : il est nécessaire d’être acteur de son e-réputation, d’investir les réseaux sociaux et les sites internet, c’est-à-dire avoir un message communicationnel précis à destination du public concerné. Il s’agit de savoir quel est le bon canal à utiliser pour faire passer de l’information et le message désiré. On en revient aux principes de base de la communication. Un individu doit, quant à lui, déterminer les frontières de sa vie privée, de son intimité. Jusqu’où sommes-nous prêts à donner de l’information qui puisse être gérable par nos soins ? On parle souvent de “story telling” : on raconte une histoire. Ce qui compte sur le web est ce qui y est visible. Or, ce qui est visible correspond à ce qui est publié et indexé en premier sur Google. Il faut faire en sorte qu’il ne s’agisse que de ce qui est publié par soi-même, ou repris par nos influenceurs."
L’e-réputation est-elle aussi importante pour des étudiants ? Comment peuvent-ils agir positivement dessus et, à contrario, quelles sont les mauvaises pratiques à éviter ?
"Bien sûr que l’é-réputation est aussi importante pour les étudiants, si ce n’est plus que pour les autres individus, car leur avenir n’est pas tracé ! Ils doivent se soucier en permanence de l’image d’eux-mêmes qu’ils renvoient sur le web. La frontière entre “vivre avec son temps” et être surreprésenté sur internet est parfois ténue. C’est une chose de passer une soirée avec des amis, c’en est une autre que d’être “tagué” sur une photo “postée” sur tous les réseaux sociaux. Il est évident que ces mises en garde doivent être apportées par une éducation numérique, à l’école et sur les bancs de l’université. Mon conseil est la vigilance. Il faut par exemple éviter, dans la mesure du possible, la publication de photos, la signature de pétitions avec sa réelle identité. Utiliser un pseudo n’enlève rien à la valeur de l’engagement. Le fait de s’engager en politique n’est pas gênant en soi, mais il faut bien comprendre que demain, cela peut avoir une incidence dans un cadre professionnel. Il faut pouvoir s’exprimer tout en se préservant. Autre mise en garde : ne pas se laisser absorber par l’effet de groupe, qui peut être démultiplié sur internet. De plus, le web a tendance à générer de l'instantanéité. Mais il y a un moment essentiel : celui du temps incompressible de la réflexion. Il existera toujours, et heureusement d’ailleurs !"
Propos recueillis par Justine Ampen
Photo / DR
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