Le 15 octobre dernier, on inaugurait à la Sorbonne ArtGallery l’exposition Luminaria du jeune artiste franco-argentin issu des Beaux-Arts de Paris, Terencio González.
Sous le commissariat de Françoise Docquiert, il y présentait une série de neuf œuvres spécialement réalisées pour l’exposition, adaptées aux formats particuliers des panneaux d’affichage de l’aile Soufflot du centre Panthéon-Sorbonne de l'université Paris 1.
Les dimensions, ainsi restreintes, représentent un véritable défi pour cet artiste habitué à explorer de bien plus vastes formats. Cette série présente donc avec brio les recherches plastiques actuelles de González : après avoir préparé ses toiles à la peinture acrylique industrielle blanche, il y colle des affiches colorées obtenues en Argentine, pays d’où est originaire son père et dans lequel l’artiste a séjourné à plusieurs reprises.
Ces affiches s’y utilisent toujours, pour annoncer des événements alternatifs politiques, sportifs, ou encore musicaux. Elles sont d’usage en presse typographique et constituent un matériau peu coûteux, léger, populaire et callejero, c’est-à-dire, propre à la rue. González les incorpore à ses toiles, la plupart du temps sans texte, et leur donne un rôle protagoniste : celles-ci ne sont alors plus un fond et un support attendant de recevoir un texte, mais le noyau même de ces toiles. D’ailleurs, ces surfaces colorées sont l’élément le plus large des œuvres et, dès lors, le premier à retenir notre attention. Tantôt acidulées et en dégradées, tantôt vives et multicolores, ces surfaces sont toujours dynamisées par quelques défauts de fabrication (marques de doigts des imprimeurs ou autres traces fantomatiques de textes probablement apposés à d’autres affiches). Et ce, quand ce n’est pas le jeu de textures auquel s’adonne le plasticien lorsqu’il prépare ces surfaces de travail, qui viennent stimuler ces formes.
À ces compositions, González vient parfois ajouter de légers détails de couleur réalisés à la peinture en spray, directement sur le fond de ses toiles. C’est cette relation entre ces matériaux industriels et l’histoire personnelle de l’artiste que l’on tentera d’approfondir.
Entretien réalisé le 19 octobre 2018 à l’atelier de l’artiste.
Pour revenir sur tes débuts : ta formation artistique et ton histoire familiale ont déjà été évoquées, peux-tu maintenant nous raconter quelle(s) étai(en)t ta ou tes pratique(s) avant de réaliser ces œuvres?
Avant, je faisais de la peinture figurative à l’huile et j’étais très inspiré par la scène hip-hop, notamment. Je réalisais aussi des photos et vidéos de ce que l’on peut appeler des « scènes urbaines ». J’ai filmé plusieurs plans fixes à Barcelone, autre ville où j’ai des racines. À Paris, j’ai photographié des jours durant un mur pour traquer son évolution, les écrits qui pouvaient y apparaître et être ensuite effacés, etc.
Pourrait-on dire que le rapport à la rue est une constante de ton travail plastique ?
Bien sûr ! Paris, Barcelone et Buenos Aires sont des villes aux scènes graffitie et street art très développées. À Buenos Aires, la pratique de la peinture murale est très présente et je pense que c’est notamment dû à une plus large disponibilité de surface qu’en Europe, ainsi qu’à une plus grande tolérance envers ces pratiques. C’est d’ailleurs ce pourquoi de nombreux européens et de nombreuses européennes s’y rendent, pour peindre !
Mais il n’y a pas que ça. J’aime les promenades, déambuler. La marche me permet de porter une certaine attention aux jeux de lumière, aux réverbérations du soleil. C’est d’ailleurs la première chose à m’avoir marqué lorsque je suis allé passer un an en Argentine : le bleu tenace du ciel et l’omniprésence du soleil qui peut parfois se prolonger sur plusieurs semaines.
Ainsi, ta palette chromatique serait liée à ces villes qui font ton histoire ?
Sans doute ! J’ai remarqué que le rapport à la couleur varie d’une ville à une autre. Par exemple : à un moment donné, j’ai travaillé comme nettoyeur de graffitis pour la ville de Paris. Ce travail m’intriguait. J’y ai découvert, entre autres, que la mairie elle-même fournit les 5 teintes qui composent la palette qui correspondent à cette ville: blanc, ivoire, beige, brun et noir.
À Buenos Aires chacune et chacun est, effectivement, libre de peindre sa maison comme elle ou il le souhaite. Tandis que le centre de la ville demeure très “européen” avec ses immeubles en pierre de taille gris et beige, les quartiers plus populaires arborent des couleurs vibrantes que le temps et le soleil ont parfois pris soin de délaver. Penses-tu que toute scène artistique intègre ce type de phénomènes ?
La scène graffiti, en tout cas, s’en imprègne. La scène parisienne utilisera du gris ou du bleu, tandis que la scène espagnole ou argentine utilisera des couleurs vives, oui. Je n’ai pas vécu longtemps en Argentine ou en Espagne et pourtant, j’ai absorbé tout cela.
Quand j’étais en quête d’une réalisation plastique plus personnelle, tout ceci, je pense, s’est manifesté inconsciemment. Un glissement s’est progressivement opéré. Par exemple : lorsque je peignais à l’huile, je réalisais des portraits et je me suis progressivement intéressé aux fonds de ces toiles plus qu’aux portraits en soi.
Mes outils de travail et mon langage ont suivi cette évolution : j’ai intégré la peinture acrylique murale, puis la peinture en spray. J’en avais toujours eu dans mon atelier mais je réservais tout cela à mon travail en extérieur.
Il en est de même pour les fonds d’affiches: j’en avais quelques-uns dans mon atelier parce qu’ils avaient retenu mon attention mais je ne m’en servais pas. Et puis je les ai intégrés, j’ai été aiguillé sur ce chemin par Jean-Michel Alberola qui était mon professeur aux Beaux-Arts. Je les ai collés sur toile, naturellement, intuitivement.
Tu n’utilises plus que ces matériaux ? Penses-tu, qu’à terme, tu cesseras d’employer ces affiches, quand bien même tu poursuivrais un travail plastique similaire ?
Par moment, j’utilise principalement ces matériaux, mais je tente d’enrichir cela, aussi dernièrement, je me suis mis à y intégrer du blanc de meudon, par exemple.
Je pense que j’ai aujourd’hui mis la main sur un terreau qui m’est fertile et je souhaite continuer à le cultiver. Je ne suis pas encore en mesure de répondre à cette question de façon définitive !
Je suis très attaché à ces matériaux; d’une certaine façon, je me sens proche de Joseph Beuys – et c’est peut-être surprenant puisqu’il n’était pas peintre ! - qui employait de la graisse et du feutre parce que ces matériaux étaient de véritables constituants de son histoire personnelle. C’est ce que les médiums que j’emploie symbolisent à mes yeux.
Cette appropriation d’un matériau assez atypique en peinture est systématiquement souligné dans ton travail : que peux-tu nous en dire d’autre ?
À mes yeux, les affiches constituent un médium que je place au même niveau que les peintures que j’emploie. Bien sûr, le fait de coller une affiche diffère - par exemple – de la réalisation d'un aplat de couleur. Ça raconte quelque chose de différent.
On me demande souvent si je ne veux pas les mettre plus en avant alors qu’elles constituent, à mes yeux, des sortes de pots de couleurs au discours très riche: elles viennent de loin et elles ont une histoire. Elles sont fabriquées sur d’anciennes presses européennes importées en Amérique du Sud, il y a de nombreuses décennies, elles sont réactivées par cet aller-retour entre ces deux continents. On peut d’ailleurs y voir une analogie avec l’histoire de l’immigration européenne en Amérique du Sud...
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