L’intelligence artificielle est un sujet suscitant de nombreuses discussions et plusieurs interrogations tant les possibilités permises semblent illimitées. Quelques jours avant les congés d’été, le mercredi 22 juin dernier, le Master 2 Droit du Commerce Electronique et de l’Economie Numérique (DC2EN) a donné rendez-vous à des professionnels et à des étudiants pour sa conférence annuelle, portant cette année sur le thème passionnant de l’intelligence artificielle ("IA").
Un sujet encore peu étudié par des étudiants spécialisés
Les étudiants du Master 2 DC2EN ont fait eux-mêmes le choix de ce sujet comme thème de leur conférence annuelle. Cette formation a pour vocation de former des juristes au droit du numérique, en approfondissant les matières juridiques dites "traditionnelles" dans leur application au commerce effectué par le biais d’internet. Néanmoins, cette thématique reste encore peu abordée, même au sein de ce type de master spécialisé. L’IA est pourtant déjà une réalité et fait l’objet d’une véritable effervescence : les géants du web, des centaines de startups, mais également des philosophes travaillent actuellement sur le sujet. Comme lors de l’émergence de tout nouveau phénomène, l’innovation technique précède généralement l’encadrement juridique lui afférent. Pour éclaircir les interrogations relatives à l’IA et aborder ce thème sous différents angles, les étudiants avaient invité un panel d’experts dont le débat était modéré par la directrice du master, Judith Rochfeld, également co-directrice de l’Institut de recherche juridique de la Sorbonne (IRJS) et membre fondateur du réseau d’experts en droit Trans Europe Experts.
Des questionnements face à un sujet que l’on ne peut ignorer
Récemment, AlphaGo, le robot de Google, a fait l’actualité après avoir battu le champion du monde du jeu de Go. L’entreprise IBM a également fait parler d’elle à la suite de la création d’un assistant-avocat avec son robot Ross. L’IA permet aussi, aujourd’hui, la prise de décision stratégique : le robot Vital siège au conseil d’administration d’un fond d’investissement d’une société implantée à Hong-Kong. D’un point de vue social encore, l’IA fait désormais partie de nos vies, des robots humanoïdes deviennent des assistants personnels comme Pepper ou Romeo. Avec la start-up Jam, les étudiants peuvent converser avec un concierge artificielle…
Si les étudiants en droit des nouvelles technologies sont admiratifs de ces nouvelles avancées, ces juristes se posent néanmoins des questions : le robot va-t-il bientôt être considéré comme un être à part entière ? Doit-on lui reconnaître une personnalité au sens juridique du terme ? Comment réagir lorsque ce dernier prend des décisions qui causent un préjudice, et qui est responsable ? Autant de questions qui justifient que chacun doit se préparer, dès maintenant, au développement de ce phénomène et à son encadrement juridique.
Etat de la technique et potentialités de l’intelligence artificielle
"Il n’y a pas un jour sans que l’on entende parler d’un nouveau programme d’IA !", explique Tristan Azzi, professeur en droit privé et sciences criminelles à l’Ecole de Droit de la Sorbonne, intervenant au sein du master pour enseigner les subtilités du contentieux international. Stéphane Mallard, expert en IA, ‘digital evangelist’ pour l’entreprise Blu Age et anciennement chargé de la stratégie, de l’innovation et de la prospective dans les salles de marchés de la Société Générale, a quant à lui tenu à préciser que l’on vivait actuellement "une révolution considérable : on est passé de la connaissance artificielle à l’IA. La première est la capacité à corréler les informations, c’est l’informatique telle qu’on la connaît aujourd’hui avec, par exemple, les voitures programmées qui sont autonomes. L’IA correspond, elle, à la capacité à grouper ces informations pour en abstraire des concepts de plus en plus complexes." Il est possible de prendre l’exemple de la Google Car qui auto-apprend de sa conduite et de l’environnement extérieur en permanence. Le changement fondamental, avec l’IA, est qu’on ne sait pas comment elle va réagir dans une situation nouvelle. C’est d’ailleurs là que résident les difficultés juridiques !
L’IA, une altérité nouvelle en voie d’acceptation sociale ?
Odile Siary, avocat au Barreau de Paris qui, après un LL.M, est devenue une experte des questions de robotique, évoque pour sa part les éventuelles difficultés d’acceptation sociale des robots. Le corps social peut en effet les craindre, en considérant, d’une part, qu’ils s’occuperont de ce que les hommes faisaient autrefois. Certains parlent de trois millions d’emplois qui seraient remplacés d’ici à 2025. Par ailleurs, leur rapport à l’humain est incertain. Cette crainte se manifestait déjà dans la littérature ou le cinéma, avec l’image du "robot traitre", par exemple. Stéphane Mallard a ajouté qu’il s’agira plus de voir ces derniers comme des "doubles digitaux" et des outils pour nous permettre de nous débarrasser des tâches les moins agréables. Néanmoins, "pour l’heure, les robots n’ont pas de personnalité juridique. Ce sont des choses, des objets de droit bien qu’ils soient plus incarnés qu’une personne morale", précise le professeur Azzi. Leur accorder cette personnalité permettrait de pouvoir leur affecter un patrimoine ou encore de pouvoir engager leurs responsabilités en cas de délit. Mais leur accorder une telle personnalité ne semble pas opportun : cela semble dangereux, dégradant pour l’humain et déresponsabiliserait ses constructeurs.
Les prémices d’un encadrement juridique de l’IA
Les différents intervenants l’ont rappelé, l’IA est déjà une réalité ! Elle fait partie de nos vies et ce phénomène va aller encore plus loin. Par voie de conséquence, les dommages causés par ses créations risquent de se multiplier et sont rarement prévisibles par leurs concepteurs, car en perpétuelle évolution. Par ailleurs, "l’IA est susceptible de causer tout type de dommages", a insisté Maître Siary. Lorsque cela peut se résoudre avec des dommages et intérêts, ça ne pose pas de difficultés. En revanche, que faire en cas de sanction pénale ? Il est aujourd’hui difficile de déterminer la présence d’un élément intentionnel ou non. Actuellement, les contentieux dont on entend parler dans la presse ne sont encore qu’anecdotiques, mais vont se développer. C’est notamment la raison pour laquelle de nombreux auteurs écrivent à ce sujet dans les revues juridiques, souligne Tristan Azzi. Aux Etats-Unis, il y a déjà des publicités qui mettent en avant des praticiens spécialisés s’agissant de dommages causés par certains types de robots. Néanmoins, en France et en Europe, il convient d’abord de réguler l’IA en fonction des effets qu’elle produira concrètement. Un encadrement juridique trop en amont serait trop abstrait, incertain et risquerait d’être vain. Il risquerait aussi et surtout de paralyser l’innovation, ont tenu à préciser l’ensemble des intervenants. Et qui sait, peut-être qu’on s’en remettra à l’IA par la suite et qu’elle produira elle-même le droit…
Justine Ampen, avec Margaux Redon et Benjamin Soroste pour #LeSorbonnaute
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