SOMANARE
SOMANARE (Sécurité foncière et environnementale : idées globales, relais régionaux et mouvement sociaux en Asie du Sud-Est : le cas du Cambodge).
L’idée de départ consiste à décrire et analyser les parcours sinueux des trajectoires empruntées par toute une chaîne d’acteurs dont l’agencement repose sur des stratégies encore à l’essai, afin de mieux rendre compte les multiples processus à l’œuvre dans la tentative de résolution de la question centrale qui nous intéresse, à savoir l’incertitude liée au foncier et à la prédation non régulée des ressources naturelles. Une compréhension satisfaisante du phénomène ne peut faire l’économie de la prise en compte des multiples formes d’assemblage alliant le local, le régional et l’international dans le cadre des formes de recours et de soutiens envisagés qui se mettent en place. L’émergence récente de formes variées de contestations d’une partie de la société civile vulnérabilisée confère une nouvelle donne au champ politique en raison de sa plus grande visibilité, de son caractère affirmé et de procédés d’agissements originaux.
Les mouvements sociaux au Cambodge, mus par une volonté forte « de faire changer le cours des choses », commencèrent à s’organiser à partir du niveau local, tout en cherchant des relais plus opératoires au niveau régional et international, comme nous le verrons plus bas. La mise en place de ce dispositif réunissant une pluralité d’acteurs opérant à différents niveaux de la sphère politique et sociale, commença à leur conférer une assise nationale, aussi fébrile soit-elle, relayée par des médias diffusant l’information hors frontières.
Une des particularités des mouvements de contestation et de résistance tient justement à la pluralité des intervenants et à la complexité de leurs pistes de ralliement. Les populations concernées prennent désormais conscience de la nécessité de réagir autrement que seules comme jadis. Prenant acte de leur poids numérique, elles sont à la recherche de soutiens leur permettant de jongler avec divers fils conducteurs qui se renforceraient. Il s’en suit, en alternative, une nouvelle configuration du politique dont l’amplification grandissante mérite d’être mise à jour, compte tenu des réseaux sociaux élargis exhortés à communiquer, et agir, sur une scène mondialisée. A l’intérieur de ce fourmillement d’acteurs reliant les porteurs d’espoirs aux populations défavorisées, des mécanismes de fonctionnement méritent d’être déchiffrés. Les stratégies qui les sous-tendent ainsi que leurs conditions de renouvellement méritent aussi d’être mieux comprises. On est en train d’assister à l’instauration multicentrée, géographiquement délocalisée, historiquement en décalage, mais connectée illico - grâce à de nouvelles technologies (twitter, facebook, telgram, etc.) - de dispositifs d’appels à la mobilisation dont l’ampleur, les logiques de fonctionnement et l’écheveau des relations qui en découlent restent à déchiffrer.
Pour ce faire, on choisit d’étudier deux évènements majeurs, non exclusifs ni coextensifs, qui viennent alimenter les nouvelles formes de mobilisation et de revendication d’une frange non négligeable de la population. Le premier entend maintenir l’accès à la diversité des écosystèmes naturels au sein des minorités ethniques. Le second vise à la mise en place de mécanismes juridiques, sociaux et politiques garantissant la jouissance des terres agricoles pour la petite paysannerie. Deux garanties annoncées dès les années 1990, approuvées une petite dizaine d’années après avec des lois forestières et agricoles, mais dont l’application relève de la gageure.
Ces deux évènements qui retiennent notre attention sont associés à des mouvements humains concomitants, mais nettement séparés et n’opérant pas en synergie : l’un regroupe les minorités ethniques à présent fusionnées sous le label ‘populations indigènes’, et l’autre rassemble la petite paysannerie des grandes plaines centrales. L’émergence du mouvement indigène, à travers l’institutionnalisation mondiale de l’indigénéité, espère s’armer d’une solide assise institutionnelle pour faire valoir les droits ancestraux à la terre et au milieu naturel environnant, moyennant constitution de réseaux transnationaux remontant jusqu’aux Nations Unies. La mobilisation embryonnaire des paysanneries vulnérables (sans terre ou sans véritable garantie d’accès à la terre) a pour préoccupation majeure la sécurisation du patrimoine foncier qui se dilapide impunément.
Le projet se donne moins comme objectifs de proposer des solutions pour amender les traits les plus choquants des politiques gouvernementales et/ou supranationales, ni même de joindre notre voix aux clameurs de dénonciation – toutes tâches au demeurant utiles – que de comprendre la montée des témoignages de résistance perçus comme des actes volontaires et réfléchis destinés à oblitérer le pillage intempestif des ressources naturelles et des terres cultivables.
Une remarque méthodologique mérite d’être signalée. Le choix de recourir à ces deux modes de recomposition du social (avènement de l’indigénéité, réactivité d’une frange rurale habituellement isolée), justifié par leur prédominance sur la scène au Cambodge mais aussi sur la carte mouchetée du sud-est asiatique, offre l’avantage de stimuler la circulation par mise en perspective, plutôt que la comparaison stricto sensu. Si comparaison il y a, elle est affaire d’enjeux communs (la gestion améliorée de l’accès aux ressources naturelles et la sécurisation financière au sein d’un même environnement social et politique) plutôt que de terrains investis en raison de leurs propriétés particulières. Il va de soi que le projet de recherche est une invitation à une rencontre interdisciplinaire afin de mieux cerner sous plusieurs angles la question centrale qui consiste à mettre en évidence la complexité de relations entretenues entre gouvernement, populations, et agences porteuses d’espoir attentives au capital social de ces groupes indigènes et paysans. C’est pourquoi les attentes et les retombées de ces assemblages hétéroclites seront passées en revue dans une perspective appliquée.
L’anthropologie du politique, pour s’en tenir à la discipline majeure animant le projet, suivra deux orientations distinctes : une anthropologie du politique qui deviendrait synonyme d’une anthropologie de la gouvernementalité, et une anthropologie morale, plus à même de rendre compte des modes de résistance à la domination.
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