Résumé de la thèse de Didier MICHEL
Didier MICHEL, Histoire et historiographie d’un noble normand et d’un groupe nobiliaire (avant, pendant et après la Révolution française) : le fonds Blondel de Nouainville, thèse soutenue le 3 juin 2009 devant un jury présidé par M. Pierre Serna, composé de MM. Jean-Clément Martin (directeur de recherche), Laurent Bourquin, Olivier Chaline et Hervé Drévillon.
Le cas Blondel de Nouainville n’existerait pas sans un fait : une manifestation à Rennes le 10 mai 1788 en faveur du parlement de Bretagne, hostile à la réforme judiciaire de Lamoignon. Fait idéalisé peu après par le peintre Beaucourt ; lequel prit donc quelques libertés avec sa localisation, et la topographie du lieu représenté. Ce fait a aussi laissé des traces dans l’historiographie : j’ai relevé environ quarante-cinq citations, généralement brèves, en particulier dans des livres, dont une trentaine pour le seul XIXème siècle (s’entendant jusqu’à 1914). L’action similaire du lieutenant-colonel du régiment d’Austrasie, De Boissieu, et de son major, De Chalup, à Grenoble, le 7 juin suivant, semble avoir laissé moins de traces, dans le cadre d’un événement pourtant plus connu, la Journée des Tuiles. La particularité du cas Blondel, c’est qu’il a laissé une correspondance, essentiellement passive, constituée de quelque cent vingt-cinq lettres écrites entre 1781 et 1792 : moins de trente entre 1781 et 1788 ; une quarantaine dans les mois suivant le 10 mai 1788 (essentiellement des lettres de félicitations) ; le reste entre 1789 et 1792.
De ces chiffres ressort bien le rôle central de l’action de Blondel à Rennes le 10 mai 1788 dans sa correspondance. Cette correspondance, Blondel l’avait laissée chez un ami, le commissaire de la marine De Sourdeval, en quittant l’armée et Nantes au printemps 1792. Le petit neveu de ce dépositaire, Charles Mourain de Sourdeval, en publia une partie dans une communication sur Blondel en 1846, dans une revue de société savante. Avant de mourir, en 1879, ce premier biographe du chevalier de Nouainville légua la correspondance de Blondel à la Bibliothèque municipale de Cherbourg (ville près de laquelle Blondel de Nouainville naquit en 1753) ; cette institution l’ayant depuis lors conservée. Le manuscrit 154 de la Bibliothèque municipale de Cherbourg semble être resté quasiment inexploité pendant plus d’un siècle, jusqu’à ce que le hasard me fasse le consulter il y a 10 ans. J’ai donc fait se croiser deux voies jusqu’alors parallèles : les traces historiographiques & la correspondance de Blondel.
Quels problèmes pose le cas Blondel ? : celui de la cohérence entre son action du 10 mai 1788 d’une part ; et, d’autre part, son émigration en Angleterre, suivie de sa mort en combattant l’armée française en Belgique sous l’uniforme d’un régiment d’émigrés au service d’Angleterre fin 1793 ; celui du passage d’une présence relativement importante de l’intervention de Blondel à Rennes dans l’historiographie du XIXème siècle, à un quasi oubli au XXème siècle ; celui de l’apport de sa correspondance, dont personne, sauf Mourain de Sourdeval, n’avait fait usage auparavant.
Quelles sources ont été utilisées ? 1/ évidemment le manuscrit 154 de la Bibliothèque municipale de Cherbourg, base de la recherche ; 2/ des récits de l’action du lieutenant Blondel le 10 mai 1788, produits par des contemporains, parfois témoins, certains sous formes de mémoires ; 3/ des archives militaires (et maritimes), consultées en particulier au S. H. D. à Vincennes ; 4/ des archives d’autres institutions, dans des lieux traversés par Blondel : archives du port de Lorient, archives départementales, municipales, des bibliothèques.
Ma recherche s’étant attachée à replacer le personnage central dans les différents groupes auxquels il appartint, des renseignements ont souvent été trouvés dans le même type d’établissements, mais aussi aux Archives nationales, à celles du Ministère des Affaires étrangères, etc. Au total, je répertorie une vingtaine de lieux de recherche significatifs.
Quelle méthode ? Mon travail a d’abord consisté à transcrire les lettres reçues par Blondel ; étape ponctuée d’une recherche de documents permettant parfois d’attester l’identité de leurs auteurs à partir des signatures, et surtout de mieux les connaître. Ce qui a facilité les annotations des lettres, et la recomposition du réseau de sociabilité de Blondel de Nouainville. Le corpus est présenté dans son évolution ; sa forme et son fond faisant l’objet d’une définition inspirée de travaux de linguistes sur d’autres correspondances ; ce qui a permis de mieux cerner les caractéristiques de ce réseau de sociabilité, constitué majoritairement de nobles, plus aisés et plus âgés que le récepteur des lettres. Celles-ci doivent donc être utilisées comme le produit d’une société attachée aux conventions sociales, non comme porteuses d’une vérité historique.
Mon travail a également consisté à rechercher les traces de l’action de Blondel le 10 mai 1788 dans les écrits contemporains et dans l’historiographie. La quête fut finalement plus productive pour cette dernière. Sans prétendre avoir retrouvé la totalité des articles et pamphlets évoquant ce fait, il me semble que sa place dans les papiers du temps a été surévaluée. Il est vrai qu’il convient de compléter par les quelques mémoires qui l’évoquent. Pour les écrits ultérieurs, j’ai classé leurs auteurs, sans beaucoup tenir compte de leur statut universitaire ; premièrement parce que les historiens universitaires sont peu nombreux parmi eux ; mais aussi parce que, comme l’a souligné Guillaume Mazeau, la différenciation entre universitaires et érudits fut longtemps moins nette qu’aujourd’hui. Il a semblé préférable de distinguer les chroniqueurs des mémorialistes ; puis les uns et les autres des historiens ; ces derniers interprétant le fait que les autres décrivent et/ou, commémorent.
Mon travail a aussi consisté a suivre la carrière de Blondel de Nouainville, et, je l’ai déjà dit, à le replacer dans les différents groupes auxquels ils appartint, à commencer par sa famille ; mais aussi la Compagnie des Indes, dans laquelle, jeune, il fit un bref passage ; son régiment d’infanterie, entre 1775 et 1792 ; et enfin son régiment d’émigrés. Pour ces deux derniers groupes, des notices individuelles ont été établies pour ceux qui furent ses camarades. Quant à l’étude de sa famille, elle ne concerne pas seulement ses proches, mais aussi ses ascendants, et les Blondel qui lui survécurent au XIXème siècle. Enfin, j’ai mené une comparaison avec des nobles contemporains de Blondel ayant fait l’objet de publications depuis le Bicentenaire de la Révolution. Tout cela eut été incomplet sans s’attacher au second personnage central de la thèse qu’est Charles Mourain de Sourdeval, principal mémorialiste de Blondel de Nouainville. Lui aussi a donc été replacé dans son milieu familial, social, professionnel, mais surtout culturel ; sans oublier son évolution politique.
Quelles conclusions ? 1/ la correspondance de Blondel ne renseigne guère sur sa façon de penser. Au mieux de rares auteurs de lettres reflètent-ils ses opinions dans leurs propos. Ainsi celui lui écrivant le 2 mars 1789, au sujet des heurts entre le tiers-état et la noblesse à Rennes fin janvier 1789 : « Les détails que vous a fait M. le comte de Robecq sont ceux de toute la noblesse. Il ne peut pas y en avoir d’autres. Mais, comme vous dites [je souligne], il faudrait que toute la France en fut persuadée ». Ou un autre, le 26 mai 1791 : « J’ai le plaisir de voir de tems en tems Monsieur de Montclar, qui gémit comme vous faisiez de tout ce qui se passe, et qui est aussi modéré que vous [même précision] ». Comment être sûr que ces reflets, isolés de leur contexte, sont exacts ; qu’ils ne sont pas amplifiés ? ; 2/ s’agissant du recul de la place dans l’historiographie au XXème siècle, je partirais des conclusions de Guillaume Mazeau (cf. A. H. R. F. 2008, n° 4, p. 155-162), parlant du déclassement scientifique de l’histoire de l’attentat contre Marat et de Charlotte Corday, rejetés par l’histoire universitaire comme étant objets de mémoire, et non d’histoire. Guillaume Mazeau parle aussi du « lent déclin de l’impact de l’événement », que l’assassinat de Marat est néanmoins resté. Et c’est là, me semble-t-il, la différence essentielle avec la journée du 10 mai 1788, qui n’est plus un événement, la suite de l’histoire l’ayant anéanti, par défaut de filiation, en quelque sorte. Le parallèle entre la guerre de Vendée et la Journée des Tuiles d’une part, la journée du 10 mai 1788 et les autres soulèvements contre la Révolution d’autre part, me paraissant justifier l’oubli du cas Blondel depuis 1914. 3/ s’agissant enfin de la cohérence du parcours de Blondel, le problème ne se pose que si, à l’instar de quelques auteurs de pamphlets pré-révolutionnaires, ou d’historiens, on interprète son action du 10 mai 1788 comme celle d’un officier noble mécontent des réformes du Conseil de la Guerre, présidé par le comte de Guibert, et/ou solidaire de la cause parlementaire. En d’autres termes, même s’ils ne sont pas utilisés expressément, comme un « noble libéral », expression commode, mais mal définie. Nous n’avons trouvé qu’un universitaire qui ait approfondi la question, Horst-Dieter Schmidt, qui soutint une thèse en Sorbonne en 1961 sur la noblesse libérale au début de la Révolution. Encore ne s’est-il intéressé qu’à des députés aux états généraux, devenus Assemblée nationale constituante.
Je crois pouvoir donner du sens à l’action pacificatrice de Blondel à partir de quelques indices dans sa correspondance, confirmés par la transcription d’une lettre qu’il aurait écrite au marquis de Senonnes après le 10 mai 1788, ce dernier en faisant part à Bernardin de Saint-Pierre [NOTE : La Motte-Baracé, François-Pierre de, marquis de Senonnes, "marquis de Senonnes to Jacques Henri Bernardin de Saint-Pierre, 4 June 1788." Ed. Malcolm Cook. Oxford : Voltaire Foundation. In Electronic Enlightenment, ed. Robert McNamee et al. University of Oxford : November 2007 (version 1.0b). [Sourced : Nov 2007, www.e-enlightenment.org/www_eeorg/eeBornDigital/eeBSP_e.php]. Il va de soi qu’il ne s’agit-là que d’une preuve indirecte, mais dont au moins le fond semble authentique. Fût-il autodidacte, Blondel ressort de ce texte comme un « Aufklärer catholique », tel que défini par Monsieur Bernard Plongeron. Je n’ai hélas pas trouvé l’équivalent pour expliquer l’abandon de l’armée par Blondel au moment de la déclaration de guerre au roi de Bohême et de Hongrie. Il me semble que, si des explications peuvent être trouvées au sein même de l’institution militaire, le rôle de protecteur des prêtres jureurs qu’on lui faisait jouer ne devait guère lui convenir. Reste le problème de l’émigration, à relativiser d’ailleurs puisque, en 1792, l’Angleterre n’était pas encore belligérante. Quant à l’engagement militaire contre-révolutionnaire en 1793, il reste incertain dans ses motifs.
Contentons-nous pour finir de dire qu’à suivre Charles Mourain de Sourdeval, premier biographe de Blondel, qui le tenait lui-même de sa mère (laquelle, jeune, connut Blondel), ce dernier et sa famille auraient prétendu descendre du trouvère de Richard-Cœur-de-Lion, Blondel de Nesle. Extrapolons, ce que je ne me suis guère autorisé à faire dans cette recherche : l’opéra-comique de Grétry, sur livret de Sedaine, Richard-Cœur-de-Lion, fut interprété à partir de 1784. Rappelons que son aria de Blondel devint un chant contre-révolutionnaire, celui des gardes du corps lors du banquet de Versailles en octobre 1789. A-t-il pu renforcer chez notre Blondel un sentiment de fidélité monarchique, à l’imitation de celle de son homonyme ? Cela donna-t-il au chevalier de Nouainville, qui aurait essayé, en Angleterre, de se faire reconnaître d’une famille Blundell prétendant également descendre du célèbre trouvère, une légitimation anglo-normande à son émigration et à son engagement au service de Georges III ? A défaut de pouvoir en dire davantage, je termine par le texte de l’air de Blondel :
O Richard ! O mon Roi ! / L’univers t’abandonne. / Sur la terre il n’est donc que moi / Qui s’intéresse à ta personne ! / Moi seul dans l’univers / Voudrais briser tes fers / Et tout le reste t’abandonne ! / O Richard ! O mon Roi ! / L’univers t’abandonne./ Sur la terre il n’est donc que moi / Qui s’intéresse à ta personne ! / Et sa noble amie, hélas ! son cœur / Doit être navré de douleur ! / Oui son cœur est navré, navré de douleur ! / Monarques, cherchez, cherchez des amis / Non sous les lauriers de la gloire, / Mais sous les myrtes favoris / Qu’offrent les filles de Mémoire. / Un troubadour est tout amour, / Fidélité, constance, / Et sans espoir de récompense ! / O Richard ! O mon Roi ! / L’univers t’abandonne. / Sur la terre il n’est que moi, il n’est que moi / Qui s’intéresse à ta personne ! / O Richard ! O mon Roi ! / L’univers t’abandonne. / Sur la terre il n’est que moi, oui c’est Blondel / Il n’est que moi, il n’est que moi, qui s’intéresse à ta personne ! / N’est-il que moi, n’est-il que moi / Qui s’intéresse à ta personne ? [Richard-Cœur-de-Lion (1784), opéra-comique en trois actes d’André-Modeste Grétry, livret de Michel-Jean Sedaine (CD EMI Classics, 2002), acte I, scène II : Air de Blondel (3’24’)]
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