Institut d'Histoire de la Révolution Française (IHRF)
IHRF-IHMC
(UMR8066, CNRS/ENS/Paris 1)
Fondé en 1937 à l’initiative de Georges Lefebvre, l’Institut d'Histoire de la Révolution Française est rattaché à l’UFR d’Histoire (09) de l’Université Paris 1 - Panthéon-Sorbonne.
Présentation complète
17, rue de la Sorbonne
Esc. C, 3e étage
75005 Paris
Vous pouvez aussi nous suivre sur notre page facebook
Chargé de communication
Bibliothèque
La bibliothèque ouvrira à partir du 1er septembre, sur RdV uniquement.
Lundi et mardi : 14 h – 17 h 30
Mercredi : 9 h 30 – 13 h | 14 h – 17 h 30
Jeudi : 9 h 30 – 13 h
Vendredi : 9 h 30 – 13 h | 14 h – 16 h
Thomas Corpet
Tél. : 01 40 46 33 70
Accès direct à la bibliothèque
Antoine de Baecque, « Contre-Révolution : vérités et contre-vérités »
Antoine de Baecque, « Contre-Révolution : vérités et contre-vérités », Le Monde des Livres, paru dans l’édition du Monde du 25/11/2011
En 1985, Reynald Secher soutient sa thèse en Sorbonne devant sept professeurs aux anges réunis autour de Pierre Chaunu, grand historien et vieux mandarin de tradition contre-révolutionnaire. Le sujet ? Contribution à l’étude du génocide franco-français : la Vendée-Vengé... La thèse paraît quelques mois plus tard (aux PUF) et le jeune historien, présenté comme un "nouveau Taine", devient le poisson-pilote de Pierre Chaunu dans sa virulente dénonciation du Bicentenaire de la Révolution française. Dans ce brouhaha médiatique, le terme de "génocide" est choisi pour provoquer. "Un génocide de type proto-industriel, avance Secher pour qualifier la guerre de Vendée, un génocide légal en vue d’exterminer une partie de peuple de France non en raison de ce qu’il faisait mais de ce qu’il était." Cette interprétation suscite une vive émotion en pleins préparatifs du Bicentenaire, mais elle est rapidement réfutée par la communauté historienne, qui s’indigne de cette vision "polpotienne" de la Révolution, ce qui coûte d’ailleurs à Secher sa carrière à l’université.
En première ligne face à Secher, on trouve Jean-Clément Martin, spécialiste des guerres de Vendée et de la mémoire de la "région martyre", dont la manifestation la plus récente est alors le spectacle du Puy-du-Fou, qui fit connaître Philippe de Villiers. Martin, auteur de La Vendée de la mémoire, historien reconnu et homme sans étiquette politique, refuse de rapprocher guerre de Vendée et génocide. Pour lui, il n’existe pas d’entité raciale, sociale, religieuse vendéenne, identité qui ne se constitue que dans le conflit de 1793 puis sa mémoire meurtrie. De plus, Martin souligne qu’on ne trouve pas trace d’un projet idéologique d’exclusion vis-à-vis des Vendéens, ni de planification des tueries. Il n’existe pas d’ordre de détruire un groupe ethnique ou religieux. En revanche, la guerre de Vendée, avec son cortège de massacres, est ramenée par l’historien à la logique d’exclusion révolutionnaire qui frappe de nombreux et divers opposants, tant extérieurs qu’intérieurs. La violence de cette guerre civile peut être comparée à celle de la politique de la terre brûlée souvent pratiquée par les armées en campagne, par exemple lors de la guerre de Sept Ans au milieu du XVIIIe siècle, dont les premières victimes sont les populations civiles. Martin fera le parallèle entre cette violence et celle de l’armée française en Algérie, à la fin des années 1950, mais réfute toute analogie avec le génocide arménien de 1915 ou avec l’extermination des juifs par les nazis.
Deux décennies après cette première passe d’armes, à la manière des mousquetaires de Dumas dans Vingt ans après, voici les duellistes toujours en piste, à l’occasion de la publication parallèle de Vendée. Du génocide au mémoricide de Reynald Secher et du Dictionnaire de la Contre-Révolution, dirigé par Jean-Clément Martin.
Dès la dédicace, "Aux centaines de mes ancêtres génocidés à travers la Vendée militaire...", on comprend que Secher n’a pas bougé d’un iota, ne cessant d’enfoncer le même clou à coups de pamphlets, de conférences, de bandes dessinées, de vidéos, d’expositions, interventions relayées par les réseaux contre-révolutionnaires. Obstination et aveuglement certains, même s’il croit avoir fait "une découverte inattendue aux Archives nationales qui bouleverse totalement notre compréhension de la guerre de Vendée". Ce document, déjà connu, choisi dans le dossier AF II/268, est une lettre du Comité de salut public de la mi-novembre 1793 qui commande d’"exterminer les brigands" et d’"anéantir les rebelles". Ce n’est pas une preuve de génocide mais la délégation, d’en haut vers les généraux républicains, des massacres en Vendée, ce qui relève des politiques de guerre civile si typiques de l’époque. Faire du génocide, à partir de ce genre de document, un bloc qui lierait les Vendéens, les Arméniens, les Cambodgiens et les juifs, tous victimes d’une forme de dérive totalitaire du rêve rousseauiste révolutionnaire est un amalgame peu convaincant. Dès lors, comme un aveu de faiblesse, Secher forge un autre concept : les républicains auraient génocidé non seulement la Vendée mais sa mémoire. "Les criminels et leurs héritiers politiques ont nié les faits, imposé à la nation leur autoamnistie et une impunité générale. Ils ont ainsi perpétré un second crime, celui de mémoricide qui, par un renversement pervers, a désigné les victimes vendéennes comme bourreaux, et transformé les bourreaux jacobins en héros", écrit le Chouan avec aplomb.
Secher exagère : il y a bien eu des crimes de guerre et des batailles abominables en Vendée, mais pas de génocide ; il existe une concurrence mémorielle parfois très vive dans la région, mais parler d’un mémoricide consiste à faire usage d’un terme spectaculaire et simpliste qui permet de décrire le monde de manière manichéenne en actionnant un chantage réducteur par l’émotion et l’analogie historiques. Cela s’inscrit également dans une politique révisionniste de la mémoire qui a, par exemple, conduit, en février 2007, plusieurs députés UMP menés par Lionnel Luca et Hervé de Charette à déposer un projet de loi portant sur la "reconnaissance officielle du génocide vendéen".
Jean-Clément Martin choisit, lui, la stratégie de l’évitement. Dans son épais Dictionnaire de la Contre-Révolution, le nom de Reynald Secher n’est pas même mentionné. L’absence est révélatrice : cette manière, à travers le silence, de vouloir délégitimer Secher comme historien, est certes risquée car elle laisse le champ libre au militantisme vendéen. Elle est cependant gagnante dans ce duel à distance, puisqu’elle permet de mettre en avant, en l’élevant au-dessus des polémiques encombrantes, un ouvrage de très bonne qualité qui consacre la Contre-Révolution comme objet d’histoire.
Celle-ci n’est pas seulement un corpus idéologique, une tendance politique, une dérive extrémiste ou intégriste, mais une véritable sensibilité historique, repérable dans l’intérêt porté de nos jours à Marie-Antoinette ou à la famille du dernier tsar, aux musées et spectacles proliférant dans certaines régions - les "lieux de mémoire" de la Contre-Révolution -, de la Navarre espagnole à la Vendée en passant par le parc de la Grancia en Italie, le Vatican, le Douro au Portugal, ou Frohsdorf, près de Vienne, résidence des derniers rois de France en exil. Jean-Clément Martin et ses quarante collaborateurs oeuvrent hors des polémiques et des prises de position partisanes pour analyser d’un regard neuf la Contre-Révolution comme mouvement historique, jouant un rôle considérable depuis deux siècles dans les domaines sociaux, politique, philosophique, religieux, littéraire, culturel. On y trouve des entrées au nom des principaux protagonistes du mouvement, des organisations, des organes, des oeuvres, des cérémonies, des symboles, à une échelle largement internationale. Jean-Clément Martin le souligne : "Il s’agit de faire le détour par la Contre-Révolution sans nostalgie ni intention propagandiste pour comprendre la complexité des deux siècles qui viennent de s’écouler." Echapper à la fatalité victimaire pour mieux percevoir, à travers les interprétations concurrentes d’une même idée, la culture de la tradition, dont la portée va de Soljenitsyne aux hussards, du légitimisme social à l’écologie, des films de David Wark Griffith à ceux d’Eric Rohmer. C’est en détournant l’attention de la seule et obsessionnelle Vendée vers d’autres et multiples éclats de Contre-Révolution que ce livre prend toute sa dimension.
[ Haut de page ]