Institut d'Histoire de la Révolution Française (IHRF)
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JE 07/02/2009 L’attentat politique : de l’actualité à l’histoire
L’attentat politique :
de l’actualité à l’histoire
Résumé et bilan de la journée d’études « L’attentat politique : de l’actualité à l’histoire » (Paris-I, 7 février 2009)
Intervenants : Arnaud Houte (CRH XIX) Dominique Kalifa (co-directeur CRH XIX) Aurélien Lignereux (Université d’Angers) Gilles Malandain (Université de Poitiers) Guillaume Mazeau (IHRF) John Merriman (Université de Yale) Frédéric Monier (Université d’Avignon) Karine Salomé (CRH XIX) Pierre Serna (directeur IHRF) Isabelle Sommier (Université de Paris I, CRPS) Jean-Noël Tardy (CRH XIX)
La journée s’ouvre sous la présidence de PIERRE SERNA, qui commence par expliquer son maintien, non sans débat, malgré la situation universitaire que l’on connait et le mot d’ordre « L’université s’arrête », en vigueur depuis quelques jours. La parole passe ensuite aux trois organisateurs de la journée pour une introduction portant sur l’historiographie (GUILLAUME MAZEAU), la périodisation (KARINE SALOME), et l’usage du terme « attentat » (GILLES MALANDAIN).
L’attentat paraît un objet historiographique relativement neuf ; certes, l’histoire n’a jamais négligé les assassinats politiques, notamment régicides ou tyrannicides, reconstitués ou élucidés dans le cadre d’une histoire classique des heurs et malheurs du pouvoir. Mais l’attentat paraît n’émerger comme forme de violence spécifique qu’à travers l’analyse du « terrorisme » – qui tend d’ailleurs à le recouvrir – et dans le cadre des sociétés contemporaines, engagées dans un triple processus de démocratisation, de sécularisation et de pacification, que l’attentat éprouve ou même contredit [George, 1988 ; Seul, 2007]. Distingué de l’assassinat politique « ciblé », l’attentat ne vise plus nécessairement les dépositaires du pouvoir, mais des symboles et/ou des victimes aléatoires ; sa cible est désormais l’opinion publique bien plus que tel ou tel individu. Dès lors, son étude ne saurait se limiter à une recherche des causes ou des moyens, mais s’élargit nécessairement aux représentations, effets ou conséquences ; de l’amont de l’événement, la focale tend à se déplacer vers l’aval.
Toutefois, cet élargissement du regard porté sur l’attentat a eu aussi des effets retour sur l’histoire des formes de violence politique classique comme le tyrannicide et le régicide de l’époque moderne : on a pu mettre en évidence des « politiques de l’attentat » dans un cadre monarchique, ou encore s‘appuyer sur le régicide pour approfondir l‘analyse des imaginaires politiques traditionnels [Rétat dir., 1979 ; Farge, 1992 ; Le Roux, 2006]. Pour leur part, les historiens de la Révolution française, longtemps focalisés sur la violence collective, se sont relativement peu intéressés à la question de l’attentat politique, en dehors de cas saillants, comme « la mort de Marat », ou dans une moindre mesure l’attentat de Rastadt (1799), deux moments clé de la politique révolutionnaire [Guilhaumou, 1989 ; Gainot, 2001 ; Chappey, 2005]. Les attentats du XIXe siècle n’ont guère été plus étudiés, en dépit d’un évident regain d’intérêt, aujourd’hui, pour l’événement politique ou pour la « politique des émotions », qui a pu notamment remettre en lumière l’assassinat du duc de Berry comme tournant de la Restauration en 1820 [Fureix, 2009]. Avec les attentats anarchistes de la fin du XIXe siècle, commence véritablement l’histoire, déjà plus ancienne, du « terrorisme » contemporain, liée à celle de la gauche révolutionnaire, mais aussi plus largement à l’avènement de la démocratie d‘opinion et du régime médiatique. On peut toutefois souligner que l’attentat, s’il est omniprésent dans l’histoire du XXe siècle, et avec des effets toujours plus spectaculaires, peut aussi apparaître comme anachronique, voire impensable, dans un contexte de forclusion de la violence politique.
De quand dater, donc, la « naissance » de l’attentat ? Deux possibles moments inauguraux du « terrorisme » doivent être réinterrogés, de part et d’autre d’un XIXe siècle durant lequel les attentats contre souverains ou hommes d’Etat semblent se multiplier – même si une quantification du phénomène paraît difficile. La Révolution, d’abord, qui verrait la signification du meurtre politique s’élargir en même temps que le cadre de la participation politique ; la période des attentats anarchistes, d’autre part, au début des années 1890, marquée par l’explosion de bombes boulevard Saint-Germain, au commissariat des Bons-Enfants, dans la Chambre des députés et au café Terminus, et l’assassinat – plus « classique » dans ses modalités – de Sadi Carnot. Pourtant, aucune des deux périodes n’invente réellement l’attentat comme acte ou geste de démonstration, visant au-delà de sa cible et de l’élimination d’un individu – l’attentat de Damiens, par exemple, a déjà cette valeur, et l’on pourrait remonter davantage dans la période moderne ; l’usage d’explosifs, la multiplication des victimes, ne sont pas non plus des nouveautés à la fin du XIXe siècle. Seule peut-être la succession rapide et en quelque sorte systématique des attentats fait la véritable nouveauté du moment anarchiste – même si le recours à la violence « aveugle » fait largement débat au sein du courant libertaire.
Il n’est donc pas évident de définir a priori ce qu’est un attentat ni de délimiter un corpus fini des événements que regrouperait la catégorie « attentat (politique) ». La réflexion ne doit-elle pas également porter sur cet étiquetage lui-même ? A cet égard, et sans entrer ici dans le détail lexicographique ou juridique, il apparaît, dans le temps long, un double mouvement d’élargissement puis de restriction relative de l’usage du mot « attentat », apparu au XIVe siècle. Relativement plus fréquent dans la langue classique, et encore jusqu’à la fin du XIXe siècle, avec des sens variés, aussi bien concrets qu’abstraits, il tend progressivement à ne plus désigner qu’un certain type de violence, subversive et meurtrière, dont le caractère « politique » est toujours discutable. Il n’y a aujourd’hui plus guère d’attentat que « terroriste » – comme le montre l’exemple récent (automne 2008) des sabotages de lignes TGV attribués à des « apprentis terroristes » de « l’ultra-gauche » (« Il n’y a pas d’attentat propre », assène l’éditorialiste de Libération). En revanche, le sens répressif du terme (l’attentat contre la constitution, les libertés ou des droits reconnus), encore courant au XIXe siècle – utilisé par exemple par B. Constant contre Napoléon ou par Hugo contre Napoléon III – est tombé en désuétude. Cependant, l’application du mot à une action de violence essentiellement symbolique retrouve une actualité à travers « l’attentat à la chaussure » d’un journaliste irakien contre le président des Etats-Unis. L’usage, comme le droit d’ailleurs – pour lequel le mot revêt un sens à la fois très spécifique et très large, bien distinct du crime ou délit ordinaire [Prothais, 1985] – engagent ainsi à ne pas restreindre à l’excès la catégorie et à réfléchir, pour le moins, à son articulation avec d’autres formes de subversion violente ou symbolique. Il faudrait, en d’autres termes, pouvoir replacer la série dénombrable des événements appelés attentats dans l’épaisseur et la continuité du politique.
C’est ce type de contextualisation que propose AURELIEN LIGNEREUX, dans une communication intitulée « Le moment terroriste de la chouannerie : des atteintes à l’ordre public aux attentats contre le Premier Consul ». Il s’agit en effet de resituer, ou de « désenclaver », un « grand » attentat, dit « de la rue (Saint-)Nicaise » (24 décembre 1800) en le réintégrant dans la nébuleuse de conspirations et de projets royalistes sous le Directoire et surtout sous le Consulat, et surtout dans l’évolution de la chouannerie à l’épreuve de la « pacification » imposée par Bonaparte. Si l’attentat paraît par excellence un phénomène urbain, une multitude d’actes de violence dispersés, imprévisibles et terrorisants, traduisent, dans l’Ouest, le passage de la guerre ouverte à une « chouannerie à volonté » échappant aux règles traditionnelles du combat. Les contemporains qualifient volontiers d’attentats ces violences (meurtres de gendarmes, par exemple, ou attaques de voitures), qui « sapent l’ordre » et visent à déstabiliser l’opinion publique. Un terrorisme blanc se développe ainsi – même si le terme est réservé, dans le discours consulaire, à l’opposition de gauche « néo-jacobine » (les royalistes se voyant plutôt traiter de « brigands », mais aussi de « fanatiques »). Il culmine avec l’explosion de la « machine infernale » sur le passage de la voiture de Bonaparte, faisant 22 morts et une centaine de blessés, en plein cœur de la capitale. Cet attentat spectaculaire marque en même temps un incontestable tournant, du meurtre ciblé au meurtre de masse, dont il est d’ailleurs difficile de comprendre les raisons. L’intense exploitation répressive, qui consolide le pouvoir du Premier Consul grâce à la construction de la figure du fanatique, véritable repoussoir de la politique de pacification, pose a fortiori la question de l’attentat comme ultime ressource d’une « politique du pire ».
Ce dense exposé suscite une assez longue discussion, dans laquelle interviennent notamment PIERRE SERNA, JEAN CLAUDE CARON, SYLVIE APRILE et ANNE SIMONIN. P. SERNA souligne la « modernité » de l’attentat de 1800, qui d’ailleurs stimule en retour l’ingéniosité policière (en l’occurrence, la subversion est en avance sur la répression) ; il note aussi que paradoxalement, cet attentat venu des rangs contre-révolutionnaires, n’entre pas dans le répertoire politique du royalisme (du moins dans la France du XIXe siècle), et fonde une tradition plutôt située à l’extrême-gauche. Plus largement, la question est soulevée de ce qu’on appelle attentat politique – faut-il vraiment y inclure toutes sortes de violences courantes, ou le réserver à certains événements exceptionnels ? Aux yeux du président de séance, l’attentat doit avant tout être étudié à travers ses dimensions politiques, plus que techniques. Il faudrait aussi préciser davantage a priori « de quoi on parle », ce qui renvoie à un dilemme classique, évoqué peut-être trop rapidement en introduction. Les organisateurs défendent l’idée de rester attentifs aux perceptions et aux dénominations, éventuellement divergentes, des contemporains. Aurélien Lignereux précise à cet égard que les auteurs de l’attentat de la rue Nicaise parlent seulement de « coup » : ils ne peuvent, à l’évidence, assumer l’attentat comme tel, tant il transgresse évidemment les règles de la guerre (sinon comme acte de « piraterie » ?). Une question importante est enfin posée, qui reste ouverte : qu’est-ce qu’un attentat réussi ?
Après une pause, la communication d’ARNAUD HOUTE pose la question : « Casernes attaquées : la gendarmerie est-elle la cible d’attentats ? ». Elle suit une démarche régressive : si les mitraillages de casernes, fréquents à la fin du XXe siècle en Corse, sont qualifiés d’attentats (quand bien même ils tuent rarement), les événements apparemment comparables du XIXe (la thèse récemment publiée d’A. Lignereux permet de repérer 135 attaques de casernes en France – surtout dans l’Ouest – entre 1800 et 1860) peuvent-ils l’être également ? Le terme attentat n’est guère utilisé, car ces événements sont rarement interprétés en termes politiques (notamment dans le contexte, pourtant insurrectionnel, de décembre 1851), mais plutôt comme actes de vengeance privée (règlements de comptes) ou de brigandage (« jacquerie »). L’attaque de la caserne, pas toujours prémédité, peut alors tout simplement entrer dans le cadre de la rébellion, « en-dessous » de l’attentat, en quelque sorte. La question serait de savoir si dans le(s) gendarme(s), ce sont les personnes privées, familières aux assaillants (la gendarmerie comme institution de proximité, impliquée dans des relations locales) ou les hommes en uniforme, représentants de l’autorité étatique, qui sont visés. Selon Arnaud Houte, on peut tout au plus, en se fondant sur l’exemple de 3 attentats anarchistes contre des gendarmeries dans les années 1880, et en dépit de leur faible retentissement, faire l’hypothèse qu’une politisation plus manifeste des attaques accompagnerait la « dépersonnalisation » objective de l’institution. Plus encore qu’avec la rébellion, le lien de l’attentat avec le complot, attesté par le droit pénal postrévolutionnaire paraît étroit.
Dans sa communication, intitulée « Fiesque vs Fieschi : figures de régicides et de conspirateurs en France, 1830-1870 », JEAN-NOEL TARDY s’attache pourtant à souligner une distinction, voire une opposition. Au début de la Monarchie de Juillet, une représentation positive du conspirateur, non plus traitre mais héros révolté, émerge, notamment au théâtre ; des personnages comme les quatre sergents de La Rochelle, morts en martyrs de l’opposition libérale aux Bourbons, peuvent être exaltés. Mais le conspirateur n’est glorieux que s’il préfigure l’insurgé, s’il prépare la révolte collective contre la tyrannie, et non s’il envisage de tuer le tyran. Nombreux à viser Louis-Philippe, les attentats régicides apparaissent plutôt comme des actes plus ou moins aberrants, dus à des « enfants perdus » des sociétés secrètes, comme le vétéran Fieschi, ou le « fanatique » Darmès en 1841. A ces derniers, s’oppose par exemple Barbès, le vrai conspirateur républicain, rationnel, artisan du soulèvement de 1839. Cette relative valorisation de la conspiration ne résiste pourtant pas au tournant de 1848, qui disqualifie toute violence politique. Toutefois, la dictature de Louis-Napoléon Bonaparte réactive aussi la tentation du tyrannicide républicain (d’autant que le prince-président revendique le modèle de César...). Les attentats commis par les patriotes italiens suscitent une appréciation ambivalente, entre reconnaissance de leur désintéressement et du bien-fondé de leur cause, et stigmatisation de l’assassin. En complément, SYLVIE APRILE rappelle l’analyse critique (et sarcastique) que fait Marx de la conspiration comme bohême prolétarienne, et des conspirateurs comme « alchimistes de la révolution » (chroniques dans la Neue Rheinische Zeitung en 1850). Elle souligne également, notamment à propos d’Orsini, l’importance de la qualification sociale des auteurs d’attentat, susceptible de peser sur l’appréciation de leur geste. Revenant enfin sur les questions de qualification, ISABELLE SOMMIER rappelle que trois définitions d’une violence « politique » peuvent être défendues, l’une fondée sur la cible, l’autre sur l’intentionnalité, la troisième, plus constructiviste (et plus satisfaisante), sur les effets de cette violence.
Sous la présidence de DOMINIQUE KALIFA, les communications de l’après-midi envisagent davantage les liens entre l’attentat et le « terrorisme » contemporain. C’est dans l’actualité des Etats-Unis des années 2000 que JOHN MERRIMAN ancre en effet sa recherche biographique sur l’anarchiste Emile Henry, fils de communard exilé et auteur, à 21 ans, de l’attentat du Café Terminus : « Emile Henry et le Café Terminus à Paris en 1894 : aux origines du terrorisme moderne ». Il s’agit en quelque sorte de retrouver l’expérience d’un révolté jeteur de bombe, dans l’espace parisien des années 1880 et 1890, où se côtoient et s’opposent quartiers pauvres et quartiers opulents, dont monuments et cafés bourgeois (ou petit-bourgeois, d’ailleurs) polarisent l’agressivité anarchiste. La démarche compréhensive de l’historien aboutit à souligner la dialectique – ou la « danse macabre » – qui relie violence d’Etat et violence contre l’Etat, l’attentat entrant toujours dans un cycle vindicatoire ; ainsi, l’écrasement de la Commune, mais aussi l’exécution de Vaillant pour l’attentat contre la Chambre (qui n’a pourtant fait aucun mort), justifient le geste meurtrier de Henry, pour lequel il n’y a évidemment pas de victimes innocentes. En complément, D. KALIFA souligne qu’avec l’anarchisme, l’attentat trouve un système de justification, politique ou antipolitique, qu’il n’avait pas.
Empruntant en quelque sorte un chemin inverse, FREDERIC MONIER part d’un attentat – l’assassinat du roi de Yougoslavie en octobre 1934 (dont le ministre des Affaires étrangères Louis Barthou fut la victime collatérale) – pour montrer l’émergence de la notion de « terrorisme » dans l’entre-deux-guerres (« L’attentat de Marseille : régicide et terrorisme dans les années 1930 »). Qualifié d’emblée d’attentat par les protagonistes, ce régicide, somme toute classique (le pistolet ayant certes remplacé le poignard), mais rendu très spectaculaire par les films tournés en direct, conduit à l’une des toutes premières tentatives de définition juridique du « terrorisme politique », dans le cadre de la Société des Nations. Celle-ci est en effet saisie par la Yougoslavie et surtout par le gouvernement français, soucieux d’éviter un engrenage comparable à celui qui avait suivi l’attentat de Sarajevo en 1914, souvenir bien sûr très prégnant. Plutôt qu’une « stratégie de la terreur », le « terrorisme » apparaît ainsi plutôt comme une extension de la conspiration à l’échelle internationale, mettant en cause des organisations secrètes et des meurtres ciblés. FREDERIC MONIER souligne au demeurant que la définition du « terrorisme » paraît difficile, voire impossible, pour les juristes des années 1930, comme elle le sera dans les années 1970 ou comme elle l’est encore aujourd’hui.
ISABELLE SOMMIER confirme cette difficulté, dans la dernière communication, « Attentat et violence ’terroriste’ ». Elle refuse du reste au terrorisme le statut de concept opératoire, ce terme étant en réalité plus souvent utilisé par l’Etat dans le cadre de la répression : l’adjectif « terroriste » justifie par exemple aujourd’hui une véritable criminalisation de la contestation politique. C’est pourquoi il semble préférable de parler, à propos des attentats aux cibles indiscriminées, de violence politique « totale », qu’il faut distinguer de formes plus anciennes comme l’assassinat politique, la conspiration, ou encore de la guérilla – cette « petite guerre » asymétrique à laquelle le « terrorisme » contemporain s’apparente à certains égards. La nouveauté radicale de l’attentat « terroriste » réside bien dans son caractère « aveugle », arbitraire – n’importe qui peut être visé (indépendamment d’une fonction ou d’une responsabilité spécifique), n’importe où, n’importe quand – et nécessairement spectaculaire – scénarisé, monté, montré... Des anarchistes de la fin du XIXe siècle aux « terroristes » les plus violents d’aujourd’hui, les moyens sont progressivement perfectionnés et les limites repoussées. Pour ISABELLE SOMMIER, comme pour JOHN MERRIMAN, cette violence totale ne peut se penser sans lien essentiel avec les formes de violence (d’Etat) totalitaire, de « terreur d’Etat », ou de « guerre totale », qui se développent selon la même chronologie. F. Monier émet cependant quelques réserves sur cette mise en relation.
Quelques remarques peuvent être enfin proposées, en guise de bilan provisoire plutôt que de conclusion :
l’analyse de l’attentat de la rue (Saint-)Nicaise, remis dans son contexte de « chouannerie à volonté », mais aussi d’autres attentats du XIXe siècle (sinon antérieurs), doit-elle conduire à relativiser la radicale nouveauté de la « violence totale » du XXe siècle ? au-delà d’une confrontation de l’approche politiste et de l’histoire, plus continuiste ( ?), la préhistoire du « terrorisme » mérite sans doute plus ample examen. A cet égard, P. Serna signale que le terme « terreur », dans son acception politique, n’est pas une création révolutionnaire, mais appartient déjà au vocabulaire de la monarchie avant 1789.
la question de la représentation ou de la médiatisation de l’attentat traverse les communications et discussions de la journée ; elle se pose, non sans changements sans doute, du XVIIIe au XXe siècle. A la fin du XIXe siècle, on peut également parler d’une esthétisation de l’attentat – dont la réaction du poète Laurent Tailhade après l’attentat de Vaillant en 1893, « qu’importent les victimes si le geste est beau », donne une formule radicale ; la postérité artistique de l’attentat anarchiste comme « geste » provocateur et propagandiste, pourrait être réinterrogée.
les rapports entre l’attentat et les dimensions religieuses ou sacrées du pouvoir ont aussi été plusieurs fois évoqués. Même en période de sécularisation du pouvoir aux XIXe et XXe siècles, l’attentat est souvent ressenti comme un acte sacrilège, qui ébranle les fondements du contrat politique collectif, au-delà de la personne ou des symboles visés. Inversement, il est souvent revendiqué comme un sacrifice et l’acceptation d’une mort glorieuse (le suicide immédiat du kamikaze ou le mépris du châtiment chez l’assassin « classique »). L’attentat pose à l’évidence la question du partage raison / émotion dans l’histoire politique. Il faut donc prendre en considération le sacrifice de l’auteur de l’attentat, le martyre du kamikaze, mais aussi les répercussions souvent irrationnelles de l’attentat dans l’imaginaire politique. Abordé sous cet angle, l’attentat gagne évidemment à être étudié [sous l’angle [de l’usage politique] des émotions politiques.
ceci pose aussi la question de la construction sociale de l’attentat. Qui décide s’il s’agit ou non d’un attentat : ses acteurs, ses témoins plus ou moins directs, ou le pouvoir ? Quel est l’effet de cet étiquetage, à la fois dans les représentations sociales et dans la répression de la violence, voire de la contestation politique ? L’attentat est-il seulement lié à la démocratisation des systèmes politiques modernes depuis la fin du XVIIIe siècle, de plus en plus polarisés par l’opinion publique et les médias ?
presque tous les intervenants ont abordé le problème des conditions du passage à l’attentat. Outre l’étude du contexte politique précis des attentats, une histoire sociale des auteurs individuels ou collectifs des attentats, peut dans certains cas apporter un éclairage utile, car elle permet notamment d’éviter de se focaliser sur les intentions des auteurs, ce qui conduit régulièrement à l’aporie.
enfin, les intervenants ont montré qu’il est utile de saisir l’attentat à travers trois niveaux emboîtés, sur le modèle de la tripartition conspiration-complot-conjuration (F. Monier) : l’attentat comme mode d’action ou d’expression politique (pratique), l’attentat comme catégorie de la répression (symbolique), l’attentat comme représentation (imaginaire) ?
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