Vendredi 13 novembre, dans la soirée, Paris et Saint-Denis ont été touchés par des attentats qui ont fait au moins 132 morts et 349 blessés, selon le dernier bilan provisoire*. Trois jours après le drame, les étudiants rédacteurs du Sorbonn@ute ont décidé de vous livrer leurs versions des faits, la manière dont ils ont vécu les événements, des témoignages vrais et entiers.
Shathil : "Les balles ne tuent pas les idées"
"Je me rappelle que, la veille de ce 13 novembre sinistre, je lisais un article de l’historien Pierre Nora à propos de Bernard Pivot. Il décrivait la France et son peuple ainsi : "Il y fallait ce concentré de Français qu’il est, avec sa sociabilité enjouée, cette culture gourmande et sensuelle, cet art de la conversation, ce goût artisanal du travail bien fait. Ajoutez-y le foot, le vin, la bonne chère et la France profonde." Je suis resté devant cette phrase quelques instants tant elle décrivait, avec bienveillance et sincérité, ce pays auquel je suis attaché, ses femmes et hommes qui en font la grandeur, son histoire glorieuse, sa riche culture, sa capitale lumineuse et tout ce qui fait que le monde entier a les yeux rivés vers la France. Des nihilistes avec une vision apocalyptique du monde veulent provoquer une guerre civile en France. Comme dirait Charles Péguy, "parce qu’ils n’aiment personne, ils croient qu’ils aiment Dieu". Ils ignorent que les balles ne tuent pas les idées, ni le vivre ensemble français, la tolérance, la justice et la paix auxquels tous les français sont attachés. Hommages à tous les innocents morts sous les tirs de l’ignorance et l’obscurantisme. Vive la France !"
Manon : "Nous devons continuer à vivre"
"C’est une simple notification du Monde qui nous a appris qu’un attentat était en cours. Un sentiment de déjà vu nous a envahis, les images ont défilé devant nos yeux, nos cœurs ont commencé à battre plus fort… Depuis hier, « Paris » est sur toutes les lèvres.
Ordinateurs sur les genoux, téléphones à l’oreille, toute la nuit, nous avons essayé d’en savoir plus. 11 mois après l’attaque de Charlie Hebdo, la France recommence à pleurer. Notre génération n’a pas connu la guerre et je ne pensais pas la connaitre un jour… Pourtant, nous en vivons une… Nous devons nous battre contre l’obscurantisme, le fanatisme religieux. Nous devons continuer à aller boire un café, à aller manger au restaurant, à assister à un concert ou un match, sans avoir à s’inquiéter. Bref, nous devons continuer à vivre. Une seule question reste en suspens : POURQUOI ?"
Claudia : "J’ai vu les gens fuir"
"Ce soir, je ne fais pas du journalisme. Ce soir, j'écris mes impressions. J'aimerais décrire des regards hagards dans les rames du métro, mais je n'en vois pas. Des gens meurent et d'autres rient. "C'est des vraies balles, ils tirent avec de vraies balles !" C'est qu'ils n'ont pas vu. Ils n'ont pas entendu. Ils n'ont pas senti dans leurs tripes que quelque chose n'allait pas. Ils n'ont pas vu les gens fuir… Je suis bloquée, je n'arrive pas à me rendre compte de ce qu'il se passe maintenant. A quelques kilomètres de moi. "Il y a eu cinq morts !" Je ne parle pas de terrorisme ou de guerre civile, de grands maux de politiques et de problèmes internationaux. Ceux qui parlent de ça n'ont pas vu les gens fuir. Paris attaquée, comme un viol consommé. "Ça a pété encore de l'autre côté !" J'ai vu les gens fuir. Ce soir je m'adresse à tous ceux qui ont vu les gens fuir et qui comme moi, restent choqués."
Adrien : "D’abord l’incrédulité. Puis la rage"
"Les poings se ferment, les poils se hérissent, les dents se serrent. "Ils ont remis ça, ces cons", glisse un garçon de café à un de ses clients. Les premières minutes sont les plus longues. D’abord l’incrédulité, puis la rage. Dans les prochains jours, les prochains mois, les prochaines années, peut-être, on accordera à la rancœur une plus grande place qu’elle ne le mérite. Oublier un instant la colère pour laisser s’exprimer le chagrin peut être difficile. Manifester plus d’empathie à l’égard des victimes que de haine à l’encontre des bourreaux, douloureux. Il me semble toutefois que c’est un effort que nous sommes tous prêts à fournir. Avant de déterrer la hache de guerre, prenons le temps d’enterrer nos morts."
Perrine : "Je refuse d’avoir peur"
"Vendredi soir, je sors dîner avec des amis, rue Amelot, dans le XIème. Après avoir bien mangé, nous sortons pour une balade nocturne. Un homme vient à notre rencontre, il semble perdu. Nous nous disons tous qu’il doit être alcoolisé, jusqu'à ce qu’il se tourne… Nous voyons dès lors sa veste, tachée de sang. Je chuchote à l'oreille de mon ami qui est entrain de lui parler ce que je viens de voir. L'homme qui nous fait face semble apeurer et demande le métro le plus proche. Nous lui conseillons celui à côté du Bataclan. Il met ses mains sur ses yeux… Un autre homme arrive en courant et nous demande de nous disperser. L'ambiance devient lourde. L'homme ensanglanté part, les sirènes résonnent dans la Capitale et l'on regarde nos téléphones. Un grand moment de silence et d'incompréhension nous envahit. Il y a eu un attentat. Puis un deuxième ! Déboussolés, nous nous asseyons en essayant de comprendre ce qu'il se passe. On ne réalise pas l'ampleur mais chacun de nous se met à ressentir des sentiments différents. L'un veut se battre, l'autre se tait, l'autre tremble, l'autre réconforte. J'avance dans la rue, la nausée au ventre. En marchant, je me sens perdue, je n'arrive simplement pas à comprendre ce que mon cœur et mon esprit essayent de me dire. Je suis déboussolée, c'est à peine si j'arrive à parler. Ce n'est que le lendemain, en quittant l'appartement de mon ami qui m'a hébergée pour éviter de prendre le RER, que je réalise le chaos vécu. Je me rappelle le contraste entre la rive droite et gauche. Cette soirée représentait l'horreur. L'horreur du meurtre, de la violence et de la haine. Hier, je me sentais mal dans ma ville sans pourvoir dire pourquoi. Mais aujourd'hui, je peux le dire : on m'a retiré ce sentiment de liberté que je ressens quand je traverse ma ville. On me l'a retiré une soirée, une soirée de trop. Je suis Parisienne et je refuse d'avoir peur de marcher dans ma ville."
Charline : "La différence entre eux et nous, c’est l’amour"
"Il y a tout juste une semaine, je présentais un exposé sur le "droit à l'humour et à la caricature". Mon exposé était bien sûr centré sur Charlie Hebdo et les attentats de janvier… J'ai conclu mon travail en disant qu'aujourd'hui, nous ne devons plus avoir peur ! Malheureusement, j'étais bien loin d'imaginer que notre pays allait être touché à nouveau par des attentats… "Nous ne devons plus avoir peur", cette phrase résonne dans ma tête depuis vendredi soir. J'ai passé toute ma soirée devant la télé, effrayée par ces images, à contacter mes amies et ma famille pour savoir si tout le monde allait bien. J'ai ensuite passé toute la nuit à cogiter, à faire des cauchemars et à m'inquiéter. Le samedi, j'ai passé ma journée sur Twitter et les sites d'information pour me tenir au courant de ce qui se passait. Aujourd'hui, je n'ai pas honte de le dire : "J'ai peur". Ce qui s'est passé vendredi soir est un crime contre l'humanité. Comment ne pas avoir peur d'aller dans un bar, dans un stade ou dans une salle de concert ? Comment prendre sur soi, retourner à une vie normale en sachant qu'à tout moment tout peut basculer ? Comment avancer alors que notre pays est en guerre ? Il n'y a pas de bonne ou mauvaise réponse à toutes ces questions mais, ce qui est sûr, c'est que la solidarité, l'écoute et la compassion sont des valeurs qui peuvent nous permettre de tenir bon et de rester fort face à ces criminels. La différence entre nous et eux, c'est l'amour, l'amitié et la solidarité. Aujourd'hui, je suis fière d'être française. Aujourd'hui, je pense à ces victimes et à leurs familles et je les soutiens de tout mon cœur. Aujourd'hui et demain, je soutiendrai mon pays plus que jamais."
Joséphine : "Ne diffusons pas la peur"
"Je sais qu'aucun jour ne passera sans que ne me viennent à l'esprit les événements de 2015. J'ai été très touchée par les attaques de Charlie Hebdo. En rentrant chez moi, ce vendredi, le même sentiment d'horreur m'assaille lorsque je découvre sur ma Timeline un article de Libé : "Fusillades dans le Xème arrondissement". Je clique sans conviction, sans compréhension, sans hâte. Cette nouvelle en appellera une série d'autres : j'ai passé ma soirée accrochée aux sites d'infos. J'ai suivi toute la nuit les raids, les révélations… Comment dormir sereinement, en sachant que plusieurs centaines de personnes sont encore coincées au Bataclan ? Je ne peux pas m'empêcher de me mettre à leur place, de penser à leurs familles, de comprendre ces visages apeurés au Stade de France, de me demander comment j'aurais agi, comment j'aurais géré ma panique et celle des autres, communicative. Je n'ai pas la réponse et j'espère ne jamais l'avoir. Je n'ai pas peur de mourir ou de vivre ces événements : ils sont le risque que l'on prendra désormais tous les jours en sortant de chez nous. Je refuse de perdre un quotidien que j'aime au profit de la terreur. Je n'ai pas non plus la réponse à l'après, celle que pourtant j'aimerais détenir. L'après, le politique, le social, l'international, la sécurité, le débat. J'ai peur de cet après-là, où nous prenons un risque plus important encore. Celui de réagir dans l'erreur, d'aggraver la situation, de remettre la faute sur les mauvaises personnes. D'amalgamer, de juger, de perdre confiance. Tout ce qu'il ne faut pas, et qui nous pend potentiellement au nez… Ne diffusons pas la peur seuls, ne l'élargissons pas, n'entrons pas dans ce jeu dangereux. Nous n'avons pas les mêmes règles. Les nôtres n'assassinent personne !"
Céliende : "Ne confondez pas tout, faites la différence"
"Terrorisme de masse. Alerte maximale. Je suis dévastée. Angoissée. Énervée. Voilà ce qui domine dans ma ville. Les hélicoptères, les ambulances, les taxis, voilà ce que je vois. Les avions militaires. Les réseaux saturés. La lourdeur de la ville. Le carnage. Le bruit des hélicoptères. Ce bruit affreux. J'ai aujourd'hui peur pour mes ami(e)s et tous les musulmans de France. Ne confondez pas tout, faites la différence. En plus de cela, j'angoisse encore pour tous ces gens qui étaient là, en train de profiter de leur groupe. Ils étaient là, simplement là. France Inter m'informe qu'il y a plus de 200 morts. Qu'est-ce que je fais assise sur mon lit ? Pourquoi est-ce que je ne cours pas aider ces gens ? Parce que je serais sûrement inutile et que mes larmes ne ressusciteront personne ! (…) Je n'ai pas d'autres mots que les larmes. C'était la journée de la gentillesse. I say Pray for Paris. Pray for all."
Laura : "Endeuillée et inquiète, je choisis l’espoir !"
"La place de la République est bondée. Les gens marchent, errent et s’arrêtent. Ils déposent des fleurs, allument des bougies, écrivent des lettres. Ils s’embrassent, ils s’étreignent et ils pleurent. Ils se sourient puis se dispersent pour laisser les autres s’agenouiller. Ils vont s’asseoir en terrasse, boivent une bière, rient aux larmes, et discutent. Ils se lèvent, marchent dans les rues douloureuses du Xème, se tiennent l’épaule, se tiennent la main. La tête haute, le regard diffus. Et sous le soleil, c’est un Paris solidaire et émouvant qui se réveille, ce dimanche. Ce sont des gens qui en ont perdu d’autres, ceux qui écument les hôpitaux. Ce sont ceux qui, chanceux, sont en famille et pensent à celle des autres. Ce sont ceux qui, trop ivres hier soir, sortent de leur lit la boule au ventre. Ce sont ceux qui ont peur de descendre dans la rue et ceux qui bravent leur ressenti pour rejoindre des amis. Ce sont ceux qui, révoltés, se découvrent haineux. Ceux qui, terriblement tristes, ne sont qu’empathie. Paris, ce sont aussi tous ces gens, ces amoureux de la vie qui, choqués, ont quand même décidé d’exister. Aujourd’hui, je suis fière d’être française. Je pense au Liban et à la France. Je pense aux parisiens et aux réfugiés. Je pense aux victimes et à leur famille. Et endeuillée et inquiète, je choisis l’espoir ! "
Florian : "Nous sommes Français, soyons-en digne !"
"Il est 16h30, boulevard Voltaire, ce dimanche 15 novembre. Malgré l’interdiction de se rassembler, la rue est étrangement bondée. Les Français ont bougé, bravé l’interdit, et se rassemblent pour faire face. Aux larmes des proches se mêle l’incompréhension, le désarroi, et certains reviennent déjà devant le lieu même où, deux jours avant, ils avaient frôlé la mort. Et il y a les autres : inconnus, touristes, voisins, amis… qui, devant l’amoncellement de fleurs et de bougies, sont là, silencieux mais présents, avec une certaine fierté, comme s’ils défiaient les criminels d’hier à l’image du slogan #MêmePasPeur. Mais, quelque part, j’ai aussi peur, peur non pas des éventuels attentats qui pourraient nous frapper à nouveau, mais de la suite que nous allons donner à ces attentats en tant que Français. L’heure n’est pas à la colère, compréhensible et même quasi-normale, mais au recueillement puis à l’après. Ne sombrons pas dans l’amalgame, dans le racisme et la xénophobie. Nous sommes en quête de Liberté. Une liberté que nous avons, et que nous devons garder. Une liberté de vivre selon nos valeurs, de côtoyer la différence et d’en faire une force, de survivre au pire et de se relever ensemble. Aujourd’hui, j’ai vu une ville, ma ville, notre ville, et des citoyens meilleurs sortir doucement des abysses. C’était un peu comme un douloureux réveil après un cauchemar, mais un réveil puissant et bénéfique. La France d’hier n’est plus : c’est une nouvelle France qui émerge, une France solidaire qui se lève et refuse de se soumettre à la peur et qui fera dignement face aux défis qui l’attendent. En fin de compte, le meilleur et le plus beau des hommages à rendre à ces innombrables victimes est de ne pas sombrer, ni dans la peur, ni dans les dérives qu’elle peut engendrer. Nous sommes Français, soyons-en digne !"
* Chiffres communiqués lundi 16 novembre 2015 à la mi-journée.
La rédaction du sorbonn@ute
#NousSommesUnis #UniversitéDebout
© Photo / DR
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