Institut d'Histoire de la Révolution Française (IHRF)
IHRF-IHMC
(UMR8066, CNRS/ENS/Paris 1)
Fondé en 1937 à l’initiative de Georges Lefebvre, l’Institut d'Histoire de la Révolution Française est rattaché à l’UFR d’Histoire (09) de l’Université Paris 1 - Panthéon-Sorbonne.
Présentation complète
17, rue de la Sorbonne
Esc. C, 3e étage
75005 Paris
Vous pouvez aussi nous suivre sur notre page facebook
Chargé de communication
Bibliothèque
La bibliothèque ouvrira à partir du 1er septembre, sur RdV uniquement.
Lundi et mardi : 14 h – 17 h 30
Mercredi : 9 h 30 – 13 h | 14 h – 17 h 30
Jeudi : 9 h 30 – 13 h
Vendredi : 9 h 30 – 13 h | 14 h – 16 h
Thomas Corpet
Tél. : 01 40 46 33 70
Accès direct à la bibliothèque
D’Oradour à la Vendée, pour faire le deuil
dimanche 22 septembre 2013, par Jean-Clément Martin
je mets en ligne ce petit texte proposé dans la presse et qui n’a pas retenu l’attention. Il me semble nécessaire de revenir sur une gestion émotionnelle du passé, telle qu’elle semble se mettre en place, pour rappeler les conflits qui demeurent toujours au coeur de notre identité et espérer que le deuil se fasse enfin sur les déchirures héritées de la Révolution française. Il ne s’agit pas d’entreprendre un quelconque "arrangement" qui se ferait au mépris de l’histoire, mais bien au contraire d’utiliser les acquis historiques pour que la guerre civile franco-française entre pour de bon dans la mémoire nationale et ne soit plus ce "passé qui ne passe pas" et qui nourrit toujours des revendications idéologiques dangereuses pour notre démocratie.
La commémoration du massacre d’Oradour-sur-Glane, qui fait l’actualité, pourrait-elle être l’occasion de repenser notre propre rapport à la mémoire française, au-delà du cadre des relations franco-allemandes dans laquelle on la confine ? La présence symbolique, le 5 septembre, des deux présidents allemand et français, encadrant le rescapé du massacre, marque un tournant dans l’histoire de la mémoire d’Oradour après les débats et les polémiques qui avaient accompagné la naissance de ce « lieu de mémoire ». Elle atteste de la volonté de réconciliation de nos deux pays autour d’un épisode particulièrement dramatique. Mais elle insiste sur l’émotion, en évoquant la mort des 642 civils dont les enfants brûlés - ce que le président François Hollande a souligné – et minimise la complexité des faits. Des « malgré nous » alsaciens se trouvaient dans la division Das Reich, ceci rendant impossible de rejeter sur le « peuple allemand » en tant que tel la responsabilité des atrocités dues aux conditions de guerre et d’embrigadement créées par le nazisme. Cette réserve n’enlève rien à l’importance de cet acte politique commun, mais elle incite à penser d’abord qu’il faut mettre en priorité la compréhension sur l’émotion, ensuite qu’il n’est pas possible de se contenter d’une commémoration oublieuse de tout ce qui peut fâcher. Car, enfin en insistant ainsi, comme l’ont fait les journalistes présents, sur les sentiments légitimes ressentis devant ce drame, il est difficile de ne pas se demander pourquoi ce genre de démarche n’est pas appliqué à d’autres événements, survenus en France et qui ne sont toujours pas objets de deuil collectif.
Comment se fait-il que la mort de civils et d’enfants puisse être ainsi source de recueillement et de réflexion ici et pas ailleurs, au-delà des luttes idéologiques et des enracinements mémoriels comme cela vient d’être effectué à Oradour ? Car des villages français ont, en effet, subi en 1793-1794 de telles atrocités de la part des armées envoyées par la République, sans que la mémoire nationale ne se réunisse aujourd’hui pour accepter cette réalité, pour envisager une réconciliation et un pardon et pour passer au-dessus des enjeux communautaristes. Le cas exemplaire est représenté par les Lucs-sur-Boulogne, commune au nord de La Roche-sur-Yon. Pour ce qu’elle avait subi, elle avait été comparée dans l’immédiat après seconde guerre mondiale à Oradour, certes dans une volonté polémique, mais reconnaissons le, à juste titre, puisque elle avait perdu au moins 500 habitants dont une centaine d’enfants. Indépendamment des discussions érudites qui peuvent se mener sur le nombre exact des victimes et les conditions exactes de leur mort, le massacre du 28 février 1794 est incontestable. Or, ces faits sont, en 2013, rappelés et commémorés par des institutions liées au Conseil général du département dans un mémorial pour la Vendée. Mise en place au lendemain du bicentenaire de la Révolution, cette commémoration porte en elle-même accusation contre la Révolution française prolongeant ainsi deux cents ans de guerre mémorielle autour de la Vendée.
Prenons en acte, mais admettons surtout qu’il serait temps que la paix se fasse et que symboliquement des représentants de l’Etat français viennent faire le deuil de tous ces événements tragiques qui empoisonnent encore et toujours la mémoire nationale. Il ne s’agit d’accabler la République actuelle d’une responsabilité qu’elle ne peut pas endosser, ni de renier des principes qui fondent la société française dans sa totalité. Il s’agit simplement de prendre la mesure de ce qui a eu lieu, de reconnaître des drames et de les mettre à leur place dans la trame historique qui compose l’histoire nationale. Il s’agit pas ici d’invoquer un quelconque et hypothétique devoir de mémoire ou de céder à des pressions politiciennes, mais plutôt d’exercer le droit d’inventaire dont les historiens sont investis qui permet, quand il est bien appliqué, que des mémoires opposées puissent panser leurs plaies sans perdre leurs enracinements et leurs cohérences.
Il est grand temps, deux cents après les tueries, que la mémoire française cesse de se fracturer autour de la période révolutionnaire. Pour cela il ne convient pas de se contenter d’amalgames et d’idées simplistes et surtout il est souhaitable qu’on ne s’arrête pas à des déclarations fondées seulement sur l’émotion. Celle-ci est travaillée par le discours politique qui lui donne du sens par son inscription dans le symbolique. La mort des enfants des Lucs doit avoir la même portée que ceux d’Oradour et doit recevoir la même prise en considération par la nation.
En 1993, la ville de Nantes, dont le maire était Jean-Marc Ayrault, avait accordé une reconnaissance aux événements de la guerre de 1793. L’attaque des Vendéens stoppée sur la place Viarme avait été rappelée au cours d’une cérémonie. Nantes avait également intégré dans sa mémoire les aspects les plus tragiques de la traite des Noirs, au travers d’un colloque et d’une exposition. Pourquoi ne pas penser que l’homme politique qui a su combiner l’articulation des mémoires affrontées, dans l’Ouest, n’engage pas, maintenant, le pays dans une autre approche mémorielle réconciliant les France antagonistes nées depuis 1792-1793, sans rien oublier et sans rien gommer ? A l’évidence nous sommes devant des moments difficiles où l’unité nationale sera mise à l’épreuve, affrontons notre passé et parlons en ensemble, les risques d’éclatement et les surenchères seront au moins limités.
Jean-Clément Martin, Professeur émérite Université Paris 1, Institut d’Histoire de la Révolution française
[ Haut de page ]