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Maîtrise Géraldine SOUDRI

SOUDRI Géraldine, Les rois maudits : de la politique à la culture historique révolutionnaire 1789/1791, dir. Pierre Serna, 2004.

 

Parler de l’histoire durant la période révolutionnaire demande avant tout de se défaire d’un concept tenace, celui de « table rase du passé », mainte fois revendiqué par les protagonistes de l’époque et servant d’arme polémique aux contre-révolutionnaires. Le discours de la révolution sur elle-même, celui d’une sortie de l’histoire consécutive au prodigieux spectacle d’une nation recouvrant ses droits, a durablement obscurci le véritable enjeu du passé pour les révolutionnaires.

Or si l’on se tourne vers la Constitution de 1791, il apparaît clairement que condamner d’un bloc l’histoire nationale, n’aurait pas permis de garder l’emblème fondamentale de ce passé, à savoir le roi, ce qui explique l’ambiguïté du terme même d’Ancien Régime.

Certains révolutionnaires ne s’y sont pas trompés : les premiers à avoir eu conscience de la nécessité pour les constituants de sélectionner les faits passés en vue de légitimer Louis XVI, mais surtout de la force émotionnelle, de la pédagogie de l’horreur propre à une histoire de France qu’il fallait recomposer ne sont autres que ceux qui ont réclamé dès 1789, la mise en place de la république. Leur chef de file, le véritable historiographe des premiers républicains est Lavicomterie de Saint Sanson.

Ce polygraphe, juriste de formation, poète à ses heures et futur député de la Convention, conscient de la nécessité pour la France de reconstituer ses annales, a dès 1791, publié Les Crimes des rois de France, véritable accusation de plus de 400 pages envers les 62 rois qui se sont succédés de Clovis à Louis XVI. Cet ouvrage polémique, au style déclamatoire et ne répondant manifestement pas aux critères d’éruditions apparus au cours des XVIIe et XVIIIe siècle, a néanmoins eu un réel succès, grâce à une véritable publicité mise en place par les journaux radicaux, du Mercure de France aux Révolutions de Paris, comme en témoignent ses nombreuses réédition et sa traduction en allemand et en anglais. L’étymologie du mot, du latin crimen, « accusation », nous renseigne sur la signification de l’ouvrage. Il s’agit en effet des pièces à conviction pour le procès, non pas des rois, mais de la monarchie en tant qu’usurpation originelle du pouvoir du peuple par la force. De ce crime initial, découle des siècles d’entorses à la morale.

Les Crimes de rois de France rend compte d’un véritable courant démocratique qui a pris naissance entre 1790 et 1791. A la suite de Lavicomterie, de nombreux ouvrages historiques ont été composés, très proches à la fois dans l’argumentation et la phraséologie, publiés au fil des évènements révolutionnaires, la fuite du roi en juin 1791 produisant une véritable inflation des écrits de ce genre. Ces radicaux ont substitué au discours politique, un discours historique, profitant ainsi de la légitimité inhérente à ce dernier et évitant d’investir directement la sphère politique, peu encline à écouter les arguments républicains au début de la Révolution.

Face à la polémique républicaine, les hommes au pouvoir, manifestant au cours du processus révolutionnaire une extraordinaire faculté d’adaptation aux événements et aux attaques provenant à la fois de la droite et de la gauche, ont dû eux aussi réinvestir le champ historique afin de défendre la Constitution qu’ils étaient en train de rédiger. L’histoire nationale, telles qu’étaient en train de la réécrire les républicains, a constitué en effet une formidable arme de contestation et de justification à la rébellion du peuple. Elle a en outre pu circuler dans l’espace démocratique formé par ces derniers, mettant ainsi en péril l’unité nationale, fait insoutenable pour la majorité des patriotes. Ces derniers ont dû se replonger dans les annales de la France, afin de rendre pensable l’idée même de monarchie constitutionnelle.

A partir de cette confrontation entre l’extrême gauche et le centre de l’échiquier politique, il est possible de dégager différents discours sur le passé mis à la disposition de la société française au début de la révolution. Ainsi, plusieurs histoires se superposent, coexistent et luttent : une histoire partiale, véritable procès du roi avant l’heure et une histoire critique, celle de l’absolution accordée aux bons rois et de l’image de la bonne monarchie primitive fondée sur le contrat social garantissant les droits du peuple. Cette dernière a été considérée comme peu significatives par les historiens, puisque sans durée, cette vision disparaissant avec la chute de la royauté. Il nous semble au contraire, que cette version historique ne pouvait être différente au regard de l’attaque des républicains et de leur condamnation sans nuance du passé, mais surtout qu’elle aurait pu perdurer si l’on considère la monarchie constitutionnelle comme un système viable et la Révolution comme un processus, dans lequel la Terreur n’était pas inscrite en filigrane.

La lecture des histoires de France écrites entre 1789 et 1791, en apprend assurément plus sur les révolutionnaires que sur Clovis ou les guerres de religion.