Il y a quelques semaines, le 31 octobre dernier, la police turque a fait une descente aux domiciles de plusieurs journalistes du quotidien turc d’opposition Cumhuriyet, et a placé en garde à vue 13 journalistes… Après avoir organisé l’Agora de Charlie, suite au terrible attentat contre le journal satirique Charlie Hebdo, l’Association des Droits de l’Homme de la Sorbonne (ADHS) a organisé, vendredi 18 novembre, au sein de l’amphithéâtre Turgot, l’Agora de Cumhuriyet, pour rendre hommage à la liberté de la presse et aux journalistes du quotidien détenus.
L’importance fondamentale de la liberté d’expression
"Ils ont essayé de nous enterrer, mais ils ne savaient pas que nous étions des graines…" Ces mots sont ceux de Murat Sabuncu, rédacteur en chef du Cumhuriyet. En ouverture de l’agora, son fils, Muratcan Sabuncu, président de l’ADHS, lui a tout d’abord répondu : "Nous serons une forêt d’arbres. Nos feuilles battront comme 100 000 cœurs. Nos branches sauront embrasser le monde entier. Même dans les déserts assoiffés, nous pousserons comme des roses blanches et nos épines perceront le ciel." Un véritable mouvement s’est ainsi soulevé en cette fin de journée : pas moins de dix-neuf intervenants ont répondu à l’appel, venant témoigner de leur révolte et de leur inquiétude devant les étudiants et les intellectuels présents. Certains d’entre eux connaissent personnellement les journalistes emprisonnés, d’autres n’ont jamais mis un pied en Turquie, mais tous ont rappelé l’importance fondamentale et la fragilité de la liberté d’expression, qui se voit tous les jours un peu plus menacée, en Turquie et ailleurs.
La nécessité d’agir et de ne surtout pas se taire
Ces intervenants, journalistes eux-mêmes, professeurs des universités, représentants d’organisation de protection des droits de l’homme, ont tous rappelé l’importance d’agir en exhortant l’audience à ne pas se complaire dans le silence face aux atteintes à la liberté d’expression. "Ce qui tue, c’est le silence", a ainsi insisté Philippe Pujas, journaliste et vice-président du P.E.N. club français. La liberté d’expression est en effet la source de bien d’autres libertés. Elle constitue, aux côtés de la protection des minorités, une des conditions vitales permettant l’existence des sociétés démocratiques. Elle est, comme l’a dit François-Xavier Lucas, professeur à l’Ecole de Droit de la Sorbonne, "aussi fragile que précieuse", et c’est en restant silencieux face à ces atteintes que nous participons activement à la déchéance de nos sociétés démocratiques. La liberté d’expression ne peut exister et ne peut survivre sans que ses défenseurs se battent pour sa préservation. C’est en substance ce que soutient David Soldini, maître de conférence à Paris 1 Panthéon-Sorbonne, lorsqu’il a dit à l’audience : "la liberté d’expression n’est jamais acquise : c’est nous qui la portons !"
Les citoyens des pays membres du Conseil de l’Europe peuvent pour l’instant compter sur le contrôle vigilant de la Cour européenne des droits de l’Homme. Malheureusement, comme l’a très justement fait remarquer Joan Divol, déléguée du Président de Paris 1 Panthéon-Sorbonne aux relations internationales, il est très facilement possible d'anéantir ce qui aura demandé des centaines d'années d'avancée dans le domaine des droits fondamentaux pour être construit. C'est pourquoi il nous faut rester vigilants, particulièrement dans le contexte actuel de l'élection de Donald Trump, des événements politiques en Hongrie, en Turquie en Autriche et des prochaines élections présidentielles en France.
La peur et la répression du contre-pouvoir
La suite de l’intervention de Joan Divol a souligné que les médias exercent une fonction sociale importante. Pourtant, comme le font remarquer plusieurs intervenants, les médias français ont très peu traité des événements en Turquie. Il a en effet fallu attendre qu'un journaliste français soit en danger pour que le monde journalistique se décide a réagir… Valérie Robert, responsable du master professionnel Journalisme franco-allemand à Sorbonne Nouvelle, a expliqué, plus précisément, que les médias allemands, loin de suivre l’exemple français, n’ont eu de cesse de dénoncer les abus du gouvernement turc, faisant preuve ainsi d’une grande solidarité vis-à-vis de leurs homologues turcs.
L’absence de média indépendant en Turquie empêche aujourd’hui le peuple d’avoir accès à une critique du pouvoir en place, ce qui laisse présager que la situation n’est pas susceptible de s’améliorer rapidement. Can Dündar, ancien rédacteur en chef du Cumhuriyet, désormais en exile, a un jour dit à Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF), que les bureaux du journal donnaient sur deux lieux que les journalistes fréquentent trop souvent : le palais de justice et le cimetière… En effet, les gouvernements ont peur du contre-pouvoir majeur que représente la presse et, dans les cas où le pouvoir politique vire dans le totalitarisme, il n’hésite pas à museler ses résistants, de toutes les manières possibles. C’est pourquoi Joan Divol a insisté sur l’importance de "graver dans le marbre le droit de résistance contre toute forme d’autorité". C’est ce droit de résistance, qui se manifeste par la liberté d’expression, qui donne un outil aux peuples afin de tenir leurs gouvernements responsables de leurs actions.
Des libertés parfois très fragiles
Gardons à l’esprit que l'arrestation des journalistes n'est pas la seule atteinte contre les libertés qui a été commise par le gouvernement turc. Mine Kirikkanat, chroniqueuse au Cumhuriyet, a dressé une liste non exhaustive de toutes les mesures prises par décret depuis l'instauration de l'état d'urgence, en juillet dernier. Le droit des femmes y est bafoué, comme bien souvent lorsqu’une société rentre dans des eaux troubles. Camille Blanc, présidente d’Amnesty international France, a également énuméré les différents abus commis par le régime en Turquie. Ce retour à l’obscurantisme dans la société turque montre à quel point les libertés, que nous pensons garanties à jamais, sont si fragiles. Elles le sont également en France et partout en Europe. Mine Kirikkanat est d’ailleurs la première des intervenants à avoir parlé de l’Europe, en évoquant la responsabilité de l’Union européenne dans l’émergence de la situation actuelle en Turquie, idée qui sera reprise tout au long de la soirée par les intervenants. Leurs paroles de soutien et de révolte ont été agrémentées par les nombreuses caricatures projetées à la vue de l’auditoire par Anna Sollogoub, chargée de communication et de plaidoyer chez Cartoon for Peace, qui ont permis de dénoncer les aspects les plus sombres de la situation actuelle en Turquie, et de tourner en dérision la susceptibilité d’un pouvoir d’Etat s’offusquant de la moindre affront.
La volonté de restaurer ou de développer la liberté
En fin de soirée, après une agora qui aura duré plus de deux heures et demi, laissant ouvertes les portes de la Sorbonne à une heure où celle-ci dort normalement, Valentin Depenne, vice-président étudiant du Conseil d’administration de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, a transmis le soutien apporté par la communauté étudiante à Muratcan et aux journalistes emprisonnés, assurant sa volonté de persévérer dans la promotion de la liberté d’expression au sein de l’université. C’est enfin sur les vers du poème « Liberté », écrit en 1942 par Paul Eluard, traduit et adapté en chanson par Zülfü Livaneli, qu’intervenants et public ont quitté l’amphithéâtre, convaincus qu’ils devaient agir pour faire perdurer ou restaurer la liberté.
Michelle Finkel Marchi et Solène Tobler pour #LeSorbonn@ute
© Photo / ADHS
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