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La sexualité des unicellulaires selon Emile Maupas (1842-1916)

 

Laurent Loison

Centre François-Viète, Université de Nantes

 

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Conclusion

La biologie n'est pas une science dont il est simple de cerner l'individuation. Pour que celle-ci fût rendue envisageable, il aura fallu la réalisation d'au moins deux conditions de possibilité. En premier lieu, il était nécessaire que les êtres vivants présentent une certaine homogénéité de fonctionnement à l'oeil du scientifique, afin que celui-ci puisse prétendre rencontrer sinon des lois, au moins des principes généraux. Dans cette difficile entreprise, dont beaucoup doutaient au XIXe siècle et même après, l'établissement de la théorie cellulaire fut peut-être le jalon déterminant. Les travaux de cytologie de Maupas, parce qu'ils avaient bien une portée généralisatrice, participèrent pleinement de ce premier mouvement.

Mais cela ne devait pas suffire à faire de la biologie une science en tant que telle. Il fallait aussi que ces processus généraux soient justiciables d'explications spécifiquement biologiques - sans pour autant tomber à nouveau dans les excès du vitalisme - pour que les sciences du vivant ne soient pas qu'une simple annexe des sciences de la matière. Ce point demanda un effort plus prolongé que le précédent, car il pouvait à juste titre apparaître comme en contradiction avec lui. En effet, c'est parce qu'ils étaient convaincus de l'universalité des lois naturelles que beaucoup de naturalistes essayèrent de construire une biologie ; mais du même coup, il était difficile de ne pas rendre compte de cette généralité des phénomènes par des explications ouvertement réductionnistes. Maupas lui-même, lorsqu'il envisagea la raison ultime de l'alternance des épisodes de sexualité et de division agame chez les ciliés, se tourna vers une explication strictement physico-chimique, au sens le plus réductionniste qui soit :

 

« Tout le monde est d'accord aujourd'hui pour admettre que la vie, dans la forme avec laquelle elle s'épanouit, est la résultante des forces physico-mécaniques actives à la surface de notre planète. Or, nous voyons ces forces dérouler leur activité dans des périodes alternantes, formant des cycles fermés. La lumière et l'obscurité alternent successivement, les saisons chaudes et les saisons froides se succèdent régulièrement, les périodes de sécheresse et les périodes d'humidité se suivent, partout règne l'alternance périodique dans ces grands facteurs de la vie. Qu'y a-t-il d'étonnant que celle-ci se soit modelée sur cette périodicité cyclique ? Ne serait-il pas plus surprenant, au contraire, qu'elle n'eût reçu aucune empreinte de ce caractère important, réglant l'évolution de ses facteurs, et qu'elle jouît d'une continuité indéfinie, quand ceux-ci sont soumis à des alternances régulières ? Pour moi, je considère l'alternance des générations agames avec la fécondation karyogamique comme une loi primordiale de la vie, assurant son maintien et sa perpétuité. Cette loi dérive de ses rapports intimes et nécessaires avec les grands facteurs physico-mécaniques qui ont présidé à son apparition et sont toujours la source à laquelle elle va puiser ses énergies spéciales. »[xliv]

 

C'est ici que l'on mesure toute l'importance du principe de sélection naturelle pour la constitution d'une biologie autonome, comme Ernst Mayr l'aura souligné en bien des occasions[xlv]. Celui-ci offrait aux scientifiques les moyens d'une mise à distance des sciences physiques, non pas en tant que principes prescripteurs du possible, comme l'avaient fait les vitalistes, mais plutôt comme horizon explicatif des formes spécifiques prises par les vivants au fur et à mesure de leur histoire évolutive. Dans la biologie moderne, la sexualité n'est donc plus réduite à l' « empreinte » du milieu physique sur la matière vivante, mais est bien comprise comme une invention propre du vivant dans le cadre de processus sélectifs, ainsi que Weismann l'avait postulé, et quelles que puissent être les incertitudes actuelles liées aux avantages qu'elle procure ou qu'elle a procurés. Pour le reste, les travaux de cytologie de Maupas demeurent bien d'une remarquable actualité.

 

 

 

Remerciements

 

Un grand merci à Eric Meyer (ENS, Paris, UMR 8541), pour ses mises au point éclairantes sur les questions contemporaines touchant à la sexualité des ciliés.

 

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[xliv] E. Maupas, 1889, op. cit., pp. 94-95.

 

[xlv] E. Mayr, Histoire de la biologie, Paris, Fayard, 1989 (1982).