L'amour des lois
ANR revloi, GSPM-EHESS-CNRS, Laios/ IIAC-EHESS-CNRS
21 octobre 2010
105 Boulevard Raspail, salle 8
9h-18h
« L’amour des lois » est un syntagme qui peut paraître d’emblée étrange, tant la compréhension de la loi est associée à la contrainte, à la force qui l’a fait valide, c’est-à-dire, selon l’expression wébérienne, comme « devant valoir ». Or, cette expression se rencontre de manière très abondante parmi les juristes, les philosophes et les Politiques (acteurs et penseurs du politique) des XVIIe et XVIIIe siècle. Cette expression d’« amour des lois » a ainsi le mérite premier de nous mettre sur la voie des sources diverses de validité du droit : celui-ci peut-être valide par la force, par l’habitude (les mœurs), mais aussi par l’amour. Mais que signifie « aimer » les lois ? Et qui peut (ou doit) aimer les lois ? Cette journée d’études cherchera à explorer les significations de cette expression à travers l’analyse de ses usages chez un certain nombre de ces penseurs de l’Ancien régime et de la Révolution. L’objectif pourtant n’est pas seulement de saisir la manière dont cette expression est entendue par tel ou tel auteur, mais aussi de repérer comment cette expression a voyagé tout au long des deux derniers siècles précédant la Révolution française. Il s’agira, en particulier, de comprendre comment l’énoncé « amour des lois » a migré d’un corpus religieux vers un corpus philosophique des Lumières, avant de devenir un énoncé révolutionnaire fondateur d’une certaine conception de la Patrie, non pas comme territoire comme mais comme amour des lois qu’un peuple s’est donné.
Il semble que l’« amour des lois » permette de repenser l’articulation de catégories classiques autour de la notion de loi, au cours de cette période historique que l’on a justement caractérisé comme foncièrement investie par le problème de la Loi. Ces catégories sont celles des lois et des mœurs, de la raison et de la sensibilité, de l’amour et de la volonté, du théologique et du politique.
Le problème central, tant politique et juridique que théologique, est celui de la contradiction entre les inclinations et le devoir. Le schème augustinien classique est celui de la disjonction entre le bien et la volonté. Selon Rousseau, dans l’état de nature ou dans la république idéale cette contradiction liée au péché est résolue car l’homme « veut spontanément ce qu’exige le bien ». Mais en dehors de cette hypothèse d’adéquation parfaite, l’amour des lois, lois même imparfaites au regard du bien et du désir, est l’attachement aux conditions juridiques qui nous font politiquement libres. L’amour des lois inscrit ainsi un désir d’autocontrainte au lieu même du désir de liberté. Dans un prolongement de l’amour de soi, le peuple pour persévérer dans son être souverain doit aimer les lois qu’il se donne à lui-même : voilà l’amour des lois.
Les lois manifestent ainsi une appartenance à un tout – en sorte que l’amour des lois est aussi amour de la patrie – et un principe de gouvernement où chacun décide librement du tout. Rousseau propose ainsi une compréhension particulière des lois qui articule la transcendance de la volonté générale dans l’immanence du droit. Mais, ce faisant, Rousseau reconduit sans doute aussi des élaborations plus anciennes du lien qui rattachent les lois humaines et la Loi divine. Dans l’expression de l’amour des lois subsiste toujours un invariant fonctionnel théologique ou principiel, qui, à titre au moins d’hypothèse, garantit la validité de la loi – comme dans l’hypothèse de la norme fondamentale chez Kelsen.
On trouve chez le grand juriste clermontois Jean Domat, par exemple, une telle formalisation de la loi. L’existence des lois chez Domat, telles qu’il les ordonne « dans leur ordre naturel » manifeste un ordre divin au cœur des lois humaines. En sorte que les respecter, c’est, qu’on le souhaite ou non, suivre la loi de Dieu. Cette loi de Dieu est d’amour – une loi portant sur le lien, donc. Dans cette forme que l’on peut nommer d’augustinisme juridique, aimer les lois, c’est aimer Dieu, mais aimer aussi ce qui nous lie à lui, et nous lie entre nous. Montesquieu en traitant explicitement de l’amour des lois effectue sans doute le premier une forme de désacralisation des lois. Certains auteurs des Lumières, en particulier, là encore, du côté du jansénisme, auront aussi déplacé cette présence de dieu pour affirmer qu’elle est désormais la voix du peuple.
Pour autant, chez Domat, cet ordre naturel des lois n’est véritablement accessible qu’au juriste de profession qui, systématisant et rationalisant le droit d’ancien régime, transcrit et révèle les lois d’amour du dieu caché. De manière cohérente avec les jansénistes de son temps, il y a chez Domat une confiance en l’habitus – les mœurs – pour nous incliner à l’amour ; et là encore Montesquieu saura s’en souvenir. La loi, en quelque sort, apparaît comme un substitut aux vertus.
Mais d’autre part, l’amour des lois ne signifie pas que ces dernières soient intangibles et non critiquables, mais que l’amour est la condition de leur perfectibilité. Ainsi lorsque Robespierre rédige en 1792 un journal intitulé Le défenseur de la Constitution, il affirme aimer cette constitution qu’il a tant critiqué de manière à faire des premières lois conquises le point d’appui de leur perfectionnement et ainsi du progrès des mœurs. Car avec les lois il s’agit bien de « faire entrer la Révolution dans les mœurs ». Cependant, reste ouverte la possibilité d’aimer des lois malformées, et c’est ici que le rôle de l’habitus peut devenir critique : les individus peuvent prendre un « mauvais pli ». D’où la question de la vigilance à l’endroit des lois, du droit de se séparer de la communauté en n’obéissant plus aux lois positives au nom de principes qui leur sont supérieurs, ce qui s’appelle également « droit de résistance ». Il s’agira d’interroger quel amour des lois peut ainsi être articulé au droit de résistance à l’oppression, et distinguer entre les lois qui forment les mœurs, et les lois qui les dégradent. Lorsque l’habitus empêche de distinguer entre les unes et les autres, il n’est pas encore possible d’attendre que les lois produisent les mœurs. La pensée d’une éducation des mœurs par les institutions civiles (éducation, fêtes) apparaît alors pour que ces mœurs produites par l’éducation conduise à l’amour des lois bonnes qui elles mêmes à leur tout pourront constituer des institutions civiles.
L’amour des lois n’est pas l’amour de la force donnée à la loi, mais l’amour d’une patrie constituée par l’existence même des lois bonnes, l’amour de la vie civilisée par les lois. « Là où il n’est point de lois, il n’est point de patrie » (Saint-Just).
Programme
9h accueil
9h30
Jean-Philippe Heurtin, Professeur de science politique, Université de St Quentin les Yvelines, GSPM :
« L’amour des lois, fondement théologique et usage politique »
10h30
Francine Markovitz, Professeur de Philosophie Paris Ouest Nanterre la défense :
« L’amour des lois chez Montesquieu »
11h30
Gabrielle Radica, Maître de conférence en philosophie, Université d’Amiens :
« L’amour des lois chez Rousseau »
14h30
Yannick Bosc, Maître de conférence en Histoire à l’université de Rouen :
« L’amour des lois chez Robespierre »
15h30
Sophie Wahnich, historienne, Directrice de recherche au CNRS IIAC/Laios EHESS :
« L’amour des lois au fondement d’une religion de la patrie? 1789-1794 »
16h30
Conclusions