François-Jean Baudouin
Itinéraire (1759-1835)

 

    Curieux article que celui publié en anglais, en 1939, par O. F. Abbot dans The Monotype Recorder (1). C'est probablement la source la mieux informée concernant François-Jean Baudouin... ce qui donne d'autant plus crédit à certaines légendes entourant la vie de l'imprimeur officiel des assemblées révolutionnaires.

    Le récit de vie ici proposé s'inspire très directement de cet article. Sa  traduction intégrale est en italique, quand les erreurs qu'il contient, les commentaires des documents retrouvés qui attestent l'inexactitude de certaines informations, ont été placés par nous dans des encadrés.

    Ce récit de vie comble également certains manques en mobilisant des sources et des travaux divers mentionnés dans les notes de bas de page.

 

 

Pour comprendre la personnalité d'un homme et sa carrière, il convient de s'intéresser à ses antécédents, en particulier au milieu dans lequel il est né. Contrairement à la plupart des imprimeurs de l'époque, François-Jean Baudouin n'était pas le fils d'un imprimeur. Son père, Pierre-Antoine, était un peintre populaire, connu pour ses aquarelles, gouaches et miniatures. Né entre 1719 et 1720, il devint membre de l'Académie Royale de peinture le 20 Août 1763 grâce à une jolie gouache intitulée Phryné accusée d'impiété que l'on peut voir encore aujourd'hui au Louvre. Parmi ses œuvres officielles, on trouve huit miniatures représentant la vie de la Vierge et un frontispice pour les Évangiles destiné à la chapelle royale. Mais Pierre-Antoine est surtout connu pour ses tableaux délicats, d'une audace extrême dont les gravures décoraient les boudoirs du temps (à savoir Le Coucher de la mariée, L'Épouse indiscrète, L'Enlèvement nocturne, etc.). Diderot qui était un ami proche du peintre a livré des commentaires spirituels de ses tableaux exposés aux Salons de 1755 et 1756.   

Pierre-Antoine Baudouin était l'heureux mari de Marie-Elisabeth Boucher, la fille cadette de François Boucher, peintre du Roi Louis XV. Diderot en donne le portrait suivant : « Un type sympathique, facile à vivre, plein d'esprit et quelque peu enclin à mener une vie dissolue ; mais qu'ai-je à craindre, ma femme a plus de quarante cinq ans ! » Deshayes, autre peintre, lui aussi, époux de la fille aînée de Boucher, partageait les mêmes habitudes. L'un et l'autre devaient mourir jeunes, usés par leur débauche.

Malgré son talent, Pierre-Antoine n'était pas riche, et vécut dans une relative pauvreté sa vie durant. Une de ses sœurs qui avait épousé Michel Lambert, l'imprimeur, mourut sans enfant. N’ayant lui-même pas d’enfant de sa seconde femme, Lambert proposa d'adopter le fils de son beau-frère, Pierre-Antoine Baudouin, auquel il était très attaché. Avec l'approbation de sa femme, François-Jean Baudouin, tout jeune encore, rejoint le foyer de son oncle. Il sera élevé avec l'idée d'en faire un imprimeur qui succèderait à son oncle. Lambert se dépensa sans compter afin d'obtenir une autorisation spéciale de la part du Roi permettant à François-Jean Baudouin de devenir imprimeur alors qu'il n'était pas fils d'imprimeur.

 


(1) Opens internal link in new window O.F. Abbott, « François-Jean Baudouin, 1759-1838. Chief printer of the French Revolution, owner of the first imprimerie nationale », The Monotype Recorder, vol. 38, n° 2, 1939, p. 3-10. La traduction ici proposée est la mienne. Les passages traduits sont en italique.

 

Cette généalogie fait l'impasse sur deux noms importants.

L'un est celui du peintre Jacques-Louis David (1748-1825) qui est un cousin issu de germains de François-Jean Baudouin.

L'autre est celui de Marie-Jeanne Buzeau, la grand-mère de François-Jean Baudouin.

On a cru longtemps que cette dernière, qui passait pour l'une des plus jolies femmes de Paris, née en 1716, était morte en 1786. Or, selon Colin B. Bailey, Marie-Jeanne Buzeau est, en réalité, décédée le 30 décembre 1796, dans sa maison de la rue de l'Égalité, située dans la section Marat.

Entre 1786 et 1796, un événement : la Révolution française, et la transformation, pour François-Jean Baudouin, d'une généalogie prestigieuse (2) en un fardeau un peu encombrant...

En 1764, David, de neuf ans l'aîné de François-Jean Baudouin, est pressenti pour être mis en apprentissage chez Boucher. Ce dernier, âgé de soixante et un an, le dirige vers un autre de ses élèves, Joseph-Marie Vien.

Si David maintiendra toujours des liens étroits avec la famille Boucher et fréquentera le salon de Marie-Jeanne Buzeau jusqu'à sa mort, il sera, en revanche, d'une remarquable discrétion lorsque les œuvres de Boucher seront mises à l'index pendant la Terreur.

Membre actif du comité d’Instruction Publique en 1792, puis de la Commission des monuments nationaux, chargé de la réorganisation du Museum, l'ancêtre du Louvre, David laissera faire de la peinture de Boucher le symbole de « l’immoralité dans le temple du libertinage », et avalisera, au moins passivement, son interdiction du Museum national : « Ce n’est point en introduisant dans les galeries du Museum national les tableaux érotiquement maniérés de Boucher et de ses imitateurs, les toiles de Van Loo [...] qu’on formerait des peintres républicains ; les pinceaux efféminés de pareils maîtres ne sauraient inspirer ce style mâle et nerveux qui doit caractériser les exploits révolutionnaires des enfants de la liberté, défenseurs de l’égalité [...]. Qu’ils disparaissent donc de la collection républicaine ces tableaux fades (3) [...]. »


Opens internal link in new window Colin B. Bailey, « Marie-Jeanne Buzeau, Madame Boucher (1716-1796) », The Burlington Magazine Publications, vol. 147, n° 1225, Apr. 2005, p. 224-234.
Opens internal link in new window François-Jean Baudouin (18 avril 1759-20 décembre 1835). Images généalogiques.


(2) François Boucher est premier peintre du roi, directeur et recteur de l'Académie royale de peinture et de sculpture. Pierre-Antoine Baudouin est peintre du roi et membre de l'Académie royale. L'oncle de François-Jean Baudouin est Jean-Baptiste Deshays, également peintre du roi. Voir André Bancel, Jean-Baptiste Deshays 1729-1765, Arthena, 2008.
(3) Rapport de Bourquier, au nom du comité d’instruction publique, à la Convention, le 6 messidor an II-24 juin 1794, Archives parlementaires, t. 92, p. 153.

 

Michel Lambert ne fait pas partie de ces imprimeurs qui ont révolutionné leur art mais il semble, en revanche, avoir monté une entreprise florissante comptant parmi ses clients la plupart des grands noms de l'époque. Imprimeur des œuvres de Rousseau, Diderot et Voltaire, ainsi que du Journal des Scavans, du Journal Encyclopédique, du Journal étranger et autres publications avancées, Michel Lambert était à couteaux tirés avec les pouvoirs publics. Il a dû bénéficier de protections haut placées pour poursuivre son activité d'imprimeur malgré les procès à répétition, les perquisitions, les arrestations et les saisies qui le frappèrent soit pour le Dictionnaire de Bayle, soit pour la Pucelle de Voltaire soit pour quelqu'écrit de Rousseau.

Alors qu'il était « Syndic de la Librairie », il est amusant de noter les rapports officiels le concernant à la recherche de livres interdits imprimés par lui et ses deux assistants (4). Il eut de sérieux ennuis en mars 1763, et ne put réouvrir ses presses que le 27 juin de la même année. Il fut arrêté une nouvelle fois en janvier 1764 pour avoir imprimé des livres philosophiques interdits.


(4) BN, Manuscrits Français, 22 132. Analyse raisonnée de Bayle, 29 mars 1755.

Michel Lambert a été interdit par arrêt du Conseil d’État de profession pendant six mois pour commerce de livres prohibés (Versailles, 28 mars 1763). Voltaire dans ses Lettres inédites à son imprimeur Gabriel Cramer, n° 149, printemps 1764, p. 135, écrit :

« Vous savez qu’on a fourré à la Bastille le typographe Lambert [Michel Lambert, imprimeur de l’Année littéraire de Fréron]. Il le méritait bien puisqu’il imprimait les mâles-semaines de Fréron, mais après tout il est dur d’être entre quatre murailles pour avoir exercé un art sans lequel nous serions encore des barbares. Avouez qu’il est doux d’être né dans un pays libre. Pour moi, si je reviens jamais au monde, je veux renaître républicain. »

Source : BN, NAF 24332, f. 258.

 

Né [le 18 avril 1759], "le petit Baudouin" était trop jeune pour conserver en mémoire ces événements, mais rien n'indique que Lambert ait changé sa façon d'exercer son métier ou ses protecteurs lors de l'adolescence de François-Jean. A l'âge de dix-huit ans, ce dernier obtînt sa license de libraire [le 27 mai 1777]. Cinq ans plus tard, le [8 février] 1782, il était admis parmi la corporation des imprimeurs en tant qu'associé de son oncle. À partir de 1784, leurs deux noms apparaissent sur les livres qui sortent de leur presse.

 

Un épisode déterminant, du point de vue de Baudouin, pour le succès de sa future carrière d'imprimeur des assemblées révolutionnaires est passé sous silence.

En 1776, le Contrôleur-général Turgot, « connu par sa grande sévérité », très critique envers le mode de comptabilité de l'Imprimerie royale, a recours à l'expérience de « l'un des plus habiles imprimeurs de ce temps », Michel Lambert.

« A seize ans, écrit François-Jean Baudouin, je fus nommé secrétaire de cette commission, et comme, plus l'on est jeune, plus les objets qui vous ont frappé demeurent fortement imprimés dans la mémoire, j'ai obtenu sur l'Imprimerie royale des renseignemens précieux, et qu'aucun autre depuis n'a jamais pu se procurer. »

L'échec des réformes de Turgot devait favoriser le succès de Baudouin sous la Révolution.

C'est à sa participation à la Commission mise sur pied par Turgot que Baudouin devait de comprendre l'inanité des « immenses bénéfices » réalisés par Anisson-Duperron, directeur de l'imprimerie royale. Il en tirera une règle de conduite et de gestion que l'on pourrait formuler ainsi : le désintéressement est l'une des conditions du succès, économique et symbolique, d'une entreprise privée au service de l'État.

Baudouin n'oubliera jamais cette leçon : d'où sa grande bonne volonté à offrir gratuitement certaines impressions aux assemblées révolutionnaires. Baudouin innovera aussi. À la logique du privilège héritée de l'Ancien Régime, réformée selon les vœux de Turgot qui privilégie le désintéressement permettant d'accumuler un capital symbolique à long terme, Baudouin associera une logique de court terme, purement commerciale : il rentabilisera sa marque « imprimerie de l'assemblée nationale » en imprimant à tour de bas des brochures émanant du nouveau personnel politique (5). C'est avec cette « littérature de chambre » (Opens internal link in new window Voir l'échantillon du catalogue Baudouin) qu'il réalisera ses bénéfices, indépendamment des publications officielles sur lesquelles il gagnera peu, voire perdra de l'argent.

La loyauté de Baudouin vis-à-vis de la Révolution ne saurait ainsi être mise en doute : la Révolution lui offre la possibilité de mettre en œuvre une réforme impossible sous l'Ancien Régime. La période révolutionnaire révèle aussi, par la multiplicité des attaques dont l'imprimerie de Baudouin sera l'objet, la fragilité d'un modèle économique qui n'est pas suffisamment "pur" pour les tenants de l'orthodoxie de l'intérêt général ou de la « vertu » ; un modèle qui n'est pas non plus suffisamment commercial pour être viable à court terme. L'étonnant, dans cette perspective, n'est pas que Baudouin ait fait faillite en 1805, après seize ans d'exercice d'un métier harassant, mais que Baudouin n'ait pas fait faillite plus tôt...

Baudouin dut également à la commission réunie par Turgot en 1776 une rencontre déterminante dans son destin d'imprimeur sous la Révolution : celle d'Armand Gaston Camus (1740-1804), ancien avocat, membre du Parlement de Paris, canoniste réputé et jurisconsulte mondain.

« On n'avait à la gestion de Duperron qu'un seul reproche à faire, écrit-il : la négligence dans la garde des poinçons de caractères appartenant à l'État, dont toute sa fortune n'aurait pu compenser la perte irréparable [...]. Cet abandon et ce désordre excitèrent le zèle et l'attention de [...] M. Camus. C'est à M. Camus seul, que l'État est redevable de la conservation des poinçons précieux des caractères qui lui appartiennent, [...]. »

Source : François-Jean Baudouin, Mémoire et projet de règlement concernant l'administration de l'imprimerie impériale, 1808, p. 5.


(5) Analyse inspirée de Pierre Bourdieu, « La production de la croyance : contribution à une économie des biens symboliques », Actes de la recherche en sciences sociales, 1977-02, n°13, p. 3-44. 

 

Tout semble s'être très bien passé jusqu'au mariage de François-Jean Baudouin [Opens internal link in new window le 19 octobre 1782 (6)] à la suite duquel des tensions apparaissent entre la jeune mariée et ses beaux-parents par alliance. Le faire-part de mariage conservé révèle qu'il s'agit de Mlle Carouge de Nantelle, fille d'un capitaine de la marine marchande (7). Les Lambert avaient pourtant eux-mêmes choisi la nouvelle épouse et arrangé, pour le jeune couple, un appartement coquet au premier étage de la vieille maison de la rue de la Harpe. Une somme d'argent avait été attribuée aux jeunes mariés ainsi qu'un certain nombre de livres leur permettant de constituer un fonds de commerce.

Malheureusement le notaire Vuitry, rédacteur du contrat de mariage, était un oncle de la mariée et avec la complicité de son père trouva moyen d'extorquer à Lambert davantage que ce qu'il avait l'intention de donner. Se rappelant probablement la vie dissipée du père de François-Jean, Lambert souhaitait surveiller étroitement les dépenses communes. Son point de vue sur le litige qui survint est exposé dans un long mémoire imprimé dans lequel il fait porter toutes ses critiques sur la jeune mariée. On ignore ce que pensa Baudouin de cette affaire. Il choisit Stouppe comme arbitre ; Lambert prit Didot le Jeune. 


(6) Original de l'acte de mariage de François-Jean Baudouin provenant des Archives nationales. Source : Minutier Central. Etude LXXVI/486.
(7) BN, Manuscrits Français, 22 106, pièce 26.
(8) BN, Manuscrits Français, 22 136, pièce 104.

 

Mémoire pour les Sieur et Dame Lambert, Imprimeurs, Libraires

Contre les Sieur et Dame Baudouin, leurs donataires universels.

 

Les bienfaits de toute espèce dont les sieur et dame Lambert ont surchargé le sieur Baudouin, sont la source des procès qu'il leur fait. Le sieur Baudoüin n'a d'existence civile que par les bienfaits des sieur et dame Lambert, bienfaits dont le père le plus tendre n'a jamais donné d'exemple à l'égard de ses enfants.

Le sieur Lambert avoit précédemment épousé la tante paternelle du sieur Baudoüin ; mais étant décédée sans enfans, le sieur Baudouin et sa famille sont devenus totalement étrangers au sieur Lambert, et encore plus à la Demoiselle Barbereux, son épouse actuelle.

La mort de cette première femme n'avoit point altéré dans le cœur du sieur Lambert l'ancienne amitié qui l'unissoit au sieur Baudoüin le père. Celui-ci étoit de l'Académie Royale de Peinture ; ses talens naissans lui promettoient de la réputation. Cet avantage n'assure pas toujours celui de la fortune. Loin que cette fortune eut jamais existé pour le sieur Baudoüin, il avoit fallu que les travaux [p. 2] de la plus tendre jeunesse subvinssent aux besoins de ses père et mère. Il ne calcula point que son travail étoit sa ressource unique ; il ne songea qu'à être bon fils, et il le fut. Il devint père d'un enfant qui a été unique. Il ne vit dans la naissance de son fils qu'un nouveau motif de travail et d'économie ; malheureusement la foiblesse de sa complexion répondoit mal à des vues aussi pures ; ce fut-là le principe des résolutions du sieur Lambert.

Le sieur Lambert proposa donc à la Demoiselle Barberaux, sa femme, de se charger de cet enfant. On sait quel est l'empire de la tendresse et de la complaisance conjuguales. La dame Lambert y consentit. Ainsi dès le berceau le sieur Baudoüin est devenu l'enfant adoptif des sieur et dame Lambert ; et comme tel, il a été nourri, logé et éclairé, chauffé, blanchi et entretenu de tout, soigné sain et malade aux dépens des sieur et dame Lambert ; ils n'ont rien épargné pour lui donner la meilleure éducation possible : Maîtres publics et particuliers, dépense d'exercices publics des prix, etc., etc.

A peine le sieur Baudoüin eut-il fini son cours d'études, que le sieur Lambert s'empressa non-seulement de le faire recevoir Libraire et d'en payer les frais, mais encore de profiter de l'estime et de la bienveillance dont les Magistrats, qui président à la Librairie, veulent bien l'honorer, pour obtenir du Roi, en faveur du sieur Baudoüin, une grace unique et sans exemple, la survivance de son imprimerie, quoiqu'il ne soit pas fils d'imprimeur.

Le sieur Baudoüin ne peut nier ces bienfaits. Son contrat de mariage les constate (art. 7) [...] [p. 3].

Le sieur Lambert sachant que le sieur Baudoüin avoit, de son chef, cherché deux fois à se marier, et voulant dans cette occasion lui donner de nouvelles preuves de sa bienfaisance, s'occupe de cet objet. On lui indique la demoiselle Carouge, qu'il ne connoissoit ni directement, ni indirectement. Il leur fait construire, arranger et meubler un appartement dans sa maison (art. 5) [...].

La dame Lambert, dans le désir de plaire à son mari, gratifie, de la main à la main, la jeune épouse, de ses montres, bijoux et petits meubles, auxquels les femmes sont naturellement attachées. Quoique donataire par son contrat de mariage de l'universalité des biens de son mari, elle consent qu'il en diminue la masse par ses libéralités (art. 6) [...][p. 4]

Présumant favorablement du cœur du sieur Baudoüin, et par conséquent sans inquiétude d'essuyer jamais le moindre chagrin de sa part, il s'en rapporte aveuglément, pour la rédaction du contrat de mariage, à un avocat, oncle de la future épouse, et à Me Vuitry, Procureur, son cousin. Voici comment ils ont lié et garotté (pour se servir des expressions mêmes de la famille) les sieur et dame Lambert [....]

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Trois ans plus tard, Lambert décédait et Baudouin se retrouvait seul à la tête d'une entreprise comptant parmi ses clients l'archevêque de Tours, l'Ordre de Citeaux et des Évêchés suffrageants.

 

 

En 1784, Baudouin demande la révocation de l'arrêt du Conseil d'État de 1782 qui lui accorde une place d'imprimeur en association conjointe avec son oncle. « Il traduit Lambert en justice pour entrer en possession de ce qu’il lui avait donné lors de son contrat de mariage et obtient contre lui deux arrêts de condamnation au Parlement. Baudouin souhaite notamment que l’atelier se consacre surtout aux ouvrages de ville, ce que son oncle refuse. (9) » Le litige se résout à l'amiable en 1787 peut-être à cause d'un évènement imprévu.

En 1787, Michel Lambert, alors âgé de 48 ans, a un fils de Jeanne Lallemand, « ouvrière en modes", de trente ans sa cadette. Ce fils, Michel-Sauveur, que Lambert ne reconnaîtra pas de son vivant, est toutefois élevé par lui avec beaucoup de soins : « Il n'avait point d'enfant légitime ; ce fils naturel fixe toute sa tendresse [...]. Il avoue à ses amis qu'il en est le père. Ses soins et son affection ne le laisse ignorer à Personne [...]. » À la mort de son père naturel, au début de l'année 1790, Michel-Sauveur est troisième clerc « chez Poultier, Notaire ». On ignore là encore le point de vue de celui que les juges désignent sous le nom de « Baudoin » pourtant très directement concerné par cette affaire. Il est brandi comme preuve vivante par la Veuve Lambert de la demande infondée de la « citoyenne Lallemand » : « Son affection pour Baudoin son neveu : il l'a élevé, il l'a établi. L'eût-il fait si Michel-Sauveur avoit été son fils ? » Souci de clarification de la part de Lambert ? Il est en tout cas frappant de constater qu'à partir du 1er août 1787, l'année donc de la naissance de Michel-Sauveur, Baudouin succède à Lambert.

Le combat juridique durera trois ans. Débuté le 26 février 1790, il se concluera par un jugement définitif du tribunal du 6e arrondissement de Paris prononcé le 28 janvier 1793 en faveur de la citoyenne Lallemand. Michel-Sauveur sera reconnu comme le fils légitime de Lambert et se verra attribué une pension que, sur l'héritage de son père, la veuve Lambert est condamnée à lui verser.

Opens internal link in new window Gazette des Tribunaux et Mémorial des Corps administratifs et municipaux, t. VII, 1793, p. 108-121.


(9) Notice « Baudouin François-Jean » dans Fr. Barbier, S. Juratic et Annick Mellerio, Dictionnaire des imprimeurs et gens du livre à Paris (1701-1789), Genève, Droz, 2007, p. 183-185.

 

On peut imaginer que le jeune couple a déménagé à une autre adresse à l'époque de la dispute avec les beaux-parents. L'on sait qu'il ne revient s'installer rue de la Harpe qu'après le décès de Lambert. Un peu plus tard, quand l'entreprise se sera développée, on ne trouvera pas moins de quatre adresses portées sur ses impressions (10).

Baudouin a reçu sans consteste une excellente éducation : comment sans cela eût-il jamais été appointé imprimeur de l'Institut de France [5 nivôse an V-25 décembre 1796], fonction pour laquelle une connaissance exceptionnelle des langues mortes et vivantes était nécessaire ? Il semble aussi avoir été un homme de grand bon sens, d'un jugement clair et humain. Son exceptionnelle énergie et ses capacités d'organisation ont fait de lui un personnage clef de la Révolution.

Lorsque l'Assemblée nationale se réunit à Versailles en mai 1789, Baudouin est élu député suppléant du Tiers-État pour Paris, sans jamais avoir été dans l'obligation de siéger. Il était alors âgé de trente ans et met son enthousiasme de jeune-homme au service des nouvelles idées même s'il était de tempérament trop modéré pour éprouver la moindre sympathie vis-à-vis des excès révolutionnaires.

Anisson-Duperron et P-D. Pierre avaient installé leur presse à Versailles à l'usage de la Cour et des Nobles, mais lorsque les trois ordres se fondirent en une assemblée nationale, ce dernier refusa d'imprimer les rapports de l'assemblée, par respect pour le roi, parce qu'ils étaient trop critiques envers la couronne. Baudouin se vit proposer ce travail. L'Assemblée nationale passa contrat avec lui par décret du 24 juin 1789, vingt-quatre heures après la formation de l'Assemblée constituante et quatre jours après le fameux serment du Jeu de Paume.


(10) Les adresses successives de l'imprimerie Baudouin sont : en 1789, n° 62 Avenue de Paris et n° 69 Avenue de Saint-Cloud à Versailles ; en 1790, n° 31 rue du Foin Saint-Jacques ; Opens internal link in new window en 1791, n° 426 rue Saint-Honoré. Maison Conventuelle des Capucins ; en 1796 (an V) : n° 662, place du Carrousel ; en 1800 : n° 1131 rue de Grenelle. Faubourg Saint-Germain ; en 1813 : n° 7 rue du cimetière Saint-André-des-Arts.

 

Le décret qui nomme Baudouin imprimeur officiel de l'assemblée est laconique. On le trouvera à sa date dans la Collection Baudouin numérisée (Opens external link in new window Voir le volume 1) :

« Arrêté pour la nomination de l’imprimeur de l’Assemblée : L’Assemblée a ordonné l’impression successive de son Procès-verbal, et nommé le sieur Baudouin, Député suppléant de Paris, pour son imprimeur. »

Baudouin a commencé, en réalité, sa carrière d'imprimeur officiel sept jours plus tôt, le 17 juin, quand Armand Gaston Camus lui a confié l’impression « des deux actes importants par lesquels l’assemblée établit ses droits et en commence l’exercice (11) ».

Pour mesurer la radicale nouveauté du décret du 24 juin 1789, il convient de rappeler les contraintes auxquelles Lambert d'abord, Baudouin ensuite, furent soumis en tant qu'imprimeurs privilégiés de l'Ordre de Citeaux.

On a coutume de dater la liberté d'imprimer de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 24 août 1789 (art. 11), promulguée le 3 novembre de la même année (Opens external link in new window Volume 1, p. 74). Quand on compare ce texte inouï qu'est le Mandement de l'Abbé Général de Cîteaux, et le texte du décret qui accorde à Baudouin le monopole sur les impressions de l'assemblée, vingt ans plus tard, force est de reconnaître que la liberté d'impression est instaurée dès le mois de juin 1789.

Par décret du 13 février 1790, l'assemblée supprimait les ordres religieux. Les députés de la Constituante s'inspiraient pourtant très directement de leurs pratiques lorsqu'ils imaginaient, au profit de Baudouin, la position d'imprimeur officiel. L’assemblée nationale conférait à son imprimeur un privilège d’impression hérité de l’Ancien Régime tout en subvertissant radicalement l'esprit de cette pratique en lui substituant un droit d'une radicale nouveauté : la liberté d'imprimer au service d'une autorité constituée. Ce droit sera l'objet de critiques multiples mais ne disparaîtra pas, y compris sous la Terreur. Baudouin saura en abuser ¬—ou en faire bon usage, comme on voudra.

C'est grâce à cette liberté d'imprimer, à cette liberté de la presse au sens littéral du terme, que Baudouin parviendra à inventer un nouveau modèle d'imprimerie officielle, sans équivalent depuis : une imprimerie régie par une logique apparemment contradictoire, à la fois désintéressée (gratuité des publications officielles) et commerciale (profits réalisés sur les publications des particuliers).


(11) Archives parlementaires, t. 8, séance du 17 juin 1789, p. 129. Voir aussi André Castaldo, Les Méthodes de travail de la Constituante, op. cit., p. 266, notes 46 et 47. La première brochure de Baudouin imprimeur de l’assemblée nationale est : Discours au Roi, prononcé par M. Bailly, doyen de la Chambre des Communes, le 6 juin [Texte imprimé] ; [Suivi de] La Réponse du Roi. Relié avec : Délibération de l'Assemblée nationale, du mercredi 17 juin 1789. Seconde délibération du mercredi 17 juin 1789, après-midi. Cote BHVP : 965978. 

 

Mandement du Reverendissime Abbé et Général de Cisteaux

 

Nous, Frère François Trouvé, Abbé de Cîteaux, Docteur en Théologie de la Faculté de Paris, premier Conseiller né du Roi Très-Chrétien au Parlement de Bourgogne, Père, Chef et Supérieur Général de tout Ordre de Cîteaux et de ses Milices, ayant et exerçant l'autorité plénière du Chapitre général dudit Ordre, etc.

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Ce décret l'autorisait à prendre l'intitulé d'Imprimerie nationale, une appelation qui offensait la Cour, les imprimeurs royaux en particulier. Hue de Miromesnil lui enjoignit de renoncer à cette dénomination, mais Baudouin, malgré les risques encourus, s'y refusa. Heureusement pour lui, l'émigration mit un terme à cette question. Baudouin devait retenir le titre d’imprimerie nationale et les fonctions afférentes jusqu'en 1805, date à laquelle Bonaparte organisait l'imprimerie impériale et mettait l'un de ses favoris à sa tête.

 

Baudouin n'est jamais parvenu à obtenir de l'assemblée la dénomination "imprimerie nationale" pour ses presses. Ce n'est pas faute d'avoir essayé en jouant de l'ambiguïté de sa position... L’un des rares ouvrages imprimé par lui avec la mention : « imprimerie nationale » est, à notre connaissance, l'édition de luxe des Procès-Verbaux de l'assemblée reproduite dans :Opens internal link in new window François-Jean Baudouin (18 avril 1759-20 décembre 1835). Images généalogiques. Image n° 18.

Une lettre manuscrite sans date d’Anisson-Duperron, probablement de 1790, prévient Baudouin que c’est à l’imprimerie royale qu’a été attribué le nom d’imprimerie nationale :

« J’ai l’honneur de saluer très humblement monsieur Baudouin et de le prévenir que je viens de recevoir des ordres de M. le ministre de l’Intérieur de prendre le titre Imprimerie Nationale. Je crois devoir lui en donner avis pour que ma conduite présente et future soit toujours en conséquence de ma conduite passée envers lui, et lui prouver que je n’ai jamais pensé et que je ne penserai jamais à empiéter sur lui ni à faire qui lui déplaise. Je le préviens donc de ceci afin qu’il en fasse le cas qu’il jugera à propos [...]. »

François-Jean Baudouin inscrivait sur la lettre même : « Répondre que je ne pouvais ni ne devais m’offenser et être choqué ; que je remerciais M. Duperron de son attention à me prévenir. »

Source : BHVP, Autographes, t. II, Ms 3020, fol. 113

 

L'imprimerie nationale ne devait être officiellement créée que le 8 pluviôse an III-25 janvier 1795. Avant cette date, toute imprimerie qui travaillait pour les autorités constituées pouvait revendiquer le titre d’imprimerie nationale. L’imprimerie du Louvre, ancienne imprimerie royale, est dite “nationale exécutive du Louvre » en 1792, “nationale du Louvre” en 1793, “nationale” en 1794 ; l’imprimerie « de la République » est imprimerie nationale ; l’imprimerie de la loterie nationale est imprimerie nationale...

 
Opens internal link in new window Tableau des imprimeries royale, nationale... et autres par Éliane Carouge.
Voir aussi Opens internal link in new window l'Historique de la Collection Baudouin

 

Dès le début, Baudouin fut en mesure de mettre à la disposition de l’assemblée pour l’impression des travaux ayant trait à ses délibérations et à ses décrets, une centaine de presses mécaniques et si parfois la qualité était sacrifiée à la célérité, il n’en réussit pas moins un prodige d’organisation. La surpopulation de Versailles à l’époque rendait difficile l’obtention d’un lieu idoine. Ses plaintes auprès des autorités ont été conservées (12).

Quand l’Assemblée a quitté Versailles pour Parisen octobre 1789, Baudouin recontra des problèmes similaires pour loger ses presses, même s’il réussit finalement à s’installer aux Tuileries. Pendant un certain temps, il exerça une influence considérable mais le caractère changeant de la scène révolutionnaires nécessitait un sens diplomatique certain pour rester en bons termes avec les différents partis qui accédaient au pouvoir.

Certains députés souhaitaient voir publier la liste complète des bénéficiaires de pensions royales et ce point fit l’objet de longues discussions au terme desquelles le coût de cette impression apparu trop élevé. L’Abbé Grégoire estimait qu’imprimer et diffuser 12 000 copies de cette liste coûterait au minimum 40 000 livres (13). Dans un grand geste de générosité, Baudouin proposa d’imprimer gratuitement ces listes et de se payer sur les copies qu’il pourrait vendre. Il perdit beaucoup d’argent et le public se désintéressa du sujet : les ventes des listes de pensionnaires s’effondrèrent.

Le 1er août 1791, Baudouin faisait présent à l’Assemblée du premier volume relié de ses procès-verbaux sur velin et peu de temps après rédigeait le premier rapport concernant son activité et des coûts qui en résultaient. Il avait dépensé 1 174 000 et reçut seulement 1 069 000 livres en paiement. Conséquemment, l’Assemblée vota les crédits nécessaires pour couvrir ses dépenses et lui alloua une modeste gratification.


(12)  Opens internal link in new window AN, série O-1 354, Pièces 198, 199, 298.
(13) Le Moniteur, 28 septembre 1789. Voir aussi : Suite du procès verbal de l’Assemblée nationale, n° 86, 28 sept 1789, p. 14-15 : « Une note remise aux différens Bureaux ayant évalué à une somme très considérable l’impression de l’état de toutes les pensions, décrétées dans une des séances antérieures, un des Membres a fait part de la soumission d’une Compagnie qui, pour imprimer cet état, ne demandait que le privilège exclusif de la vente. On a discuté cette proposition ; mais le sieur Baudouin, Imprimeur de l’Assemblée, ayant déclaré aussi qu’il imprimerait l’état de toutes les Pensions, sans qu’il en coûtât rien au Trésor-Public, on invoqué la question préalable sur la proposition de la Compagnie, et il a été décidé qu’il n’y avait pas lieu à délibérer. »

 

Une « gratification » de 40 000 livres est votée par les députés « pour lui tenir lieu des bénéfices qu’il eût pu espérer de son travail » (14). Cette « gratification » semble avoir fonctionné, par la suite, comme un bénéfice fixe accordé à Baudouin sur ses impressions. Dans un rapport des inspecteurs de la Salle du 29 nivôse an III (18 janvier 1795), est mentionné un bénéfice fixe de “17 à 18%” attribué à Baudouin par l’Assemblée en “1790” : or 40 000 livres rapportées aux 217 494 livres payées à Baudouin en septembre 1791 représentent 18,4%. Ce bénéfice n’augmentera pas jusqu’en 1795, la Convention considérant que :

« C’est avec ces bénéfices accordés sur les impressions que depuis 1790 [Baudouin] a soutenu son crédit, fourni et entretenu sa maison, qu’il a pourvu aux besoins d’une famille nombreuse, et satisfait encore à quelques charges particulières que sa sensibilité lui a créées, [...] et ces mêmes bénéfices restreints à 17% en 1790 sont en nivôse de l’an 3 toujours dans le même rapport, sans que de sa part il vous soit venu aucune réclamation ultérieure (15) [...]. »

 

Ce système de bénéfice fixe aura une influence directe sur la diffusion de la parole parlementaire, contribuant à l’exporter hors de l’enceinte de l’assemblée : les « impressions » de rapports, motions, adresses, opinions... pour lesquelles Baudouin, en revanche, est payé s’en sont trouvées démultipliées, ainsi que l’atteste la seconde collection du procès-verbal, qui, aux côtés de celle qui rassemble le texte de la séance, fournit les pièces imprimées qui vont avec la séance et grâce auxquelles Baudouin gagne de l’argent (16).

Pendant la Convention, Baudouin a perçu près de 3 millions de livres sous la forme d’acomptes ou d’à-valoir versés de façon hebdomadaire entre septembre 1792 et août 1793, puis de façon mensuelle. En octobre 1795, alors qu’elle se sépare, l’assemblée lui doit encore plus de 300 000 livres...


(14) André Castaldo, Les Méthodes de travail de la Constituante, PUF, 1989, p. 267-268 et Décret « relatif au compte du sieur Baudouin, Imprimeur de l’Assemblée nationale et qui lui accorde une gratification de 40 000 livres », 30 septembre 1791 : Baudouin reçoit une somme de 217 494 livres pour ses impressions du 15 juin 1789 jusqu’au 1er septembre 1791, « sans préjudice de ce qui lui sera dû pour les impressions du mois de septembre ». Opens external link in new window Volume 19, p. 846.
(15) Convention nationale. Comité des inspecteurs de la salle. 2e registre des procès-verbaux, 3 floréal an II-18 pluviôse an III. Séance du 29 nivôse an III (18 janvier 1795), p. 261. Source : AN, série *D/XXXVc/8
(16) Ces deux collections, conservées respectivement à la Bibliothèque de Arsenal sous les cotes : 8-H-9061 (texte) et 8-H-9058 (pièces). Elles comptent chacune 75 volumes.
 

 

En plus de son travail officiel et de ses journaux dont il sera parlé plus loin, Baudouin entreprit de publier à grande échelle pour des particuliers. Nombre de pamphlets célèbres de l’époque (Opens internal link in new window le Catalogue) portent le nom de sa firme. Il a eu maille à partir avec des contrefacteurs et a écrit à l’assemblée pour refuser toute responsabilité concernant un pamphlet imprimé à Paris sous le nom d’imprimerie nationale contenant un soi-disant interrogatoire du roi (17). (Opens internal link in new window voir aussi : Baudouin imprimeur).

Plusieurs histoires attestent son courage personnel et son implication pour sauver des victimes du terrorisme. À la fin de juin 1789, Baudouin sauvait l’Archevêque de Paris d’une foule hostile qui lui jetait des pierres sur la Place Dauphine à Versailles. L’opinion publique avait été prévenue contre le prélat. Celui-ci, disait la rumeur, aurait essayé de convaincre le roi de dissoudre l’assemblée nationale. Un mois plus tard, Baudouin devait s’efforcer, sans succès, de sauver l’intendant Foulon d’une foule furieuse, en compagnie notamment de Lafayette. Mais la victime était arrachée aux bras de ses protecteurs.

Dans la nuit du 10 août 1792, un officier et sept Gardes suisses trouvaient refuge chez Baudouin qui les déguisaient en ouvriers et leur permettait ainsi d’échapper au massacre. Encerclés, environ soixante-dix de leurs compagnons furent emprisonnés dans le monastère des Feuillants, où, avec l’aide de sa femme, Baudouin réussit à leur faire passer des provisions.


(17) Le Moniteur, 28 juin 1791. 

 

Baudouin semble avoir été très soucieux de sa postérité. Les informations sur sa conduite courageuse pendant la Révolution proviennent de la Biographie des contemporains. On les retrouve, résumées, dans la Biographie universelle ancienne et moderne de Michaud (1854, t. III, p. 288-289) qui précise : « Nous qui l’avons connu en 1820, âgé de près de soixante-douze ans, nous avons reconnu chez lui cette verdeur, cette jeunesse de caractère qui inspirent les actions les plus généreuses [...]. » Preuve au moins que Baudouin était en contact avec ses biographes...

Le développement de l’article d’Abbot concernant l’action de Baudouin pendant la Révolution est repris de la Biographie des Contemporains. Dictionnaire historique des hommes vivans et des hommes morts depuis 1788 jusqu’à nos jours, qui se sont faits remarquer par leurs écrits, leurs actions, leurs talents, leurs vertus ou leurs crimes, publiés sous la direction de MM. Rabbe, Vieilh de Boisjolin et Sainte-Preuve. Paris, chez l’Éditeur, Rue du Colombier, 21, 5 vols, t I, 1836, p. 271-272 :

 

« [...] Il était tout naturel que M. Baudouin qui avait débuté sous d’heureux auspices dans la carrière de la révolution, en adoptât les principes avec toute la chaleur d’un jeune homme, mais il le fit avec conviction et sans égoïsme. Dans les derniers jours de juin 1789, il eut le bonheur de sauver de la fureur d’une multitude égarée l’archevêque de Paris, qu’elle insultait et assaillait de pierres ; ce prélat était accusé d’avoir été à Marly conjurer le roi de dissoudre l’assemblée nationale ; le 22 juillet suivant, MM. Baudouin et Chaton, comme électeurs, furent chargés par M. Moreau de Saint-Merry, leur président, de garder le malheureux Foulon et de veiller à sa sûreté et quoiqu’ils se fussent exposés à un danger imminent, ils ne purent parvenir à remplir avec succès cette tâche pénible mais honorable ; les efforts de M. de La Fayette, les exhortations du curé de Saint-Etienne-du-Mont ne purent sauver la victime. Dans la nuit du 5 au 6 octobre, un garde du corps, poursuivi par un groupe de furieux qui voulaient le massacrer, trouva dans sa maison un asile assuré ; le 17 juillet 1792 (sic), il refusa d’imprimer la fameuse pétition du Champ de Mars, quoiqu’il eût tout à perdre par un tel refus.

Dès ce jour il fut très mal vu aux Jacobins, qui saisirent avec empressement cette occasion pour lui retirer leurs impressions, quoiqu’elles fussent presque gratuites. Dans la nuit du 10 août 1792, un officier de l’état-major et sept suisses, qui se réfugièrent chez M. Baudouin pour échapper au massacre, furent transformés de suite en imprimeurs, et durent leur salut à ce déguisement ; déjà le 8, il avait sauvé des insultes de la multitude, deux députés votant pour M. de La Fayette, qu’on avait voulu faire décréter d’accusation ; deux autres et le ministre de la Justice M. Dejoly le furent également dans la soirée du 10, tant par ses soins que par ceux de son épouse ; il avait aussi, dans la même journée, pourvu à la subsistance de soixante dix Suisses, recueillis par la section des Tuileries et enfermés dans les combles des Feuillants [...]. »

 

Cette vision d'un homme à la fois engagé — du côté de la Révolution — et de tendance politique modérée — ainsi que l'atteste sa condamnation de la Terreur et ses déboires avec l'aile gauche de la Convention — est un plaidoyer pro-domo de Baudouin, décédé accidentellement à 76 ans, le 20 décembre 1835, chez un aubergiste de Bourg-la-Reine.

Politiquement, Baudouin est une « girouette (18) » qui s'efforce, avec succès, de dépolitiser sa fonction d'imprimeur officiel en publiant les hommes de tous les partis ainsi que l'atteste son Opens external link in new window Catalogue. Baudouin pare aux critiques permanentes dont il est l'objet à l'assemblée avec un sens du droit qui le pousse à prendre les devants de ses accusateurs et à toujours produire publiquement ses défenses.

Son plus grand machiavélisme semble avoir été une honnêteté sans faille qui, associée à sa stratégie de transparence, le préserve de tout amalgame avec les gens corrompus et les ennemis de la Révolution.

Baudouin est exaspérant par ses retards, l'absence de soin mis à certaines publications, la trop grande diversité de son Catalogue, mais il ne sera jamais pris en défaut de probité vis-à-vis des autorités révolutionnaires...


(18) Pierre Serna, La République des girouettes 1789-1815 et au-delà, Champ Vallon, 2005. 

 

Il a été dit par certains biographes (Michaud) que lorsque les comités révolutionnaires furent créés en 1793, Baudouin fut appointé par la Section des Tuileries. D’autres, tel Rabbe, contredisent ce fait et affirment que Baudouin n’était pas le genre d’homme à accepter une position de révolutionnaire salarié. Il fut, toutefois, sélectionné avec trois autres sectionnaires en tant que conseiller, sans être payé, et ne pouvait pas refuser. Ses dépenses, élevées, en tant qu’imprimeur étaient supportées par lui seul et il exerçait une influence positive sur les membres du comité révolutionnaire. Déjà en 1792, Crouvelle, président de la section des Tuileries, avait, en compagnie de Baudouin et Froiduré, adressé une lettre à l’assemblée dénonçant le pillage et le meurtre dans certaines sections de Paris (19). Baudouin réussit à s’opposer à des actions arbitraires et à persuader la majorité de punir trois membres s’étant rendus coupables de sérieuses infractions. On compte, parmi les gens qu’il sauva de la guillotine, Miromesnil, l’ancien Garde des Sceaux.


(19) Le Moniteur, 1er novembre 1792.

 

Alors que les imprimeurs vont payer un lourd tribut à la Révolution (Momoro, auteur d’un Traité élémentaire de l’imprimerie (1796), est guillotiné avec Hébert, le 4 germinal an II (24 mars 1794) ; Anisson-Duperron est guillotiné le 6 floréal an II (25 avril 1794), Baudouin traverse la Terreur sans trop d’encombres. Ce qui est d’autant plus étonnant, si l’on suit ses biographes officiels, qu’il aurait, à plusieurs reprises, manifesté publiquement ses tendances politiques modérées.

Son honnêteté et sa probité sans défaut expliquent en partie cet heureux destin. Mais un autre facteur explicatif doit être pris en compte : l’investissement de Baudouin dans la culture politique de la Révolution.

Alors qu’il travaille sans relâche comme imprimeur de l’assemblée, et comme imprimeur privé au service de tous les députés, qu’il est père d’une famille nombreuse (neuf enfants dont six survivront), Baudouin se transforme, à partir du 17 septembre 1793, en sans-culotte militant.

De cinq heures de l’après-midi et jusqu’à une heure avancée de la nuit, minuit ou une heure du matin, il est un membre actif du comité révolutionnaire de la Section des Tuileries et un militant exemplaire.

Les registres de la section des Tuileries permettent d’établir son assiduité sans défaut (un peu plus d’un mois d’absence sur un an et demi de réunions quotidiennes (20)...). Malgré sa réputation de modéré, dans une section qui souffre du même discrédit, Baudouin passe victorieusement tous les scrutins épuratoires. Ce qui prouve à tout le moins que l’on pouvait vivre sous la Terreur sans renier ses options politiques...

Baudouin comble progressivement son déficit de légitimité, en multipliant les preuves de dévouement (démarches pour l’attribution d’un nouveau local à la section, gardes à la Convention en sus de son travail d’imprimeur...). La section lui manifeste sa confiance en l’envoyant faire des perquisitions, arrêter et “translater” des suspects d’une prison parisienne à l’autre... Alors qu’il n’est que commissaire-adjoint, Baudouin est autorisé le 13 frimaire an II (3 décembre 1793) « à recevoir l’indemnité accordée aux membres des comités. » Ce que racontent ses biographes sur ce point est donc faux : son désintéressement ne se mesure pas à la gratuité des fonctions révolutionnaires assumées par lui.

Si Baudouin ne devient pas commissaire de plein exercice, il est un quasi-permanent du bureau de la section des Tuileries, où il est régulièrement renouvelé. Il semble, à partir de pluviôse an II (janvier 1794), avoir été investi de la rédaction des rapports consécutifs aux assemblées générales, en particulier des rapports concernant les citoyens suspects que la section interroge avant de les déférer au comité de Sûreté générale. C’est probablement grâce à ses rapports que la section peut transmettre aux détenus qui le réclament les motifs de leur arrestation (4 ventôse II-22 février 1794). Cette initiative légaliste est peu appréciée de la Convention.

Baudouin semble aussi être intervenu en faveur de certains suspects, le citoyen « Lamerthrie », par exemple. Qui d’autre que lui était à même de préciser qu’il ne fallait pas le confondre « avec son frère, ex-constituant » ? Qui d’autre que lui pouvait avoir l’idée de recommander à l’attention « des citoyens inspecteurs de la Salle de la Convention », le sergent Mayeux, afin de lui trouver un emploi ? À partir de germinal an II (mars 1794), une tâche semble l’avoir absorbé : la rédaction des tableaux de suspects réclamés par l’arrêté du comité de Sûreté Générale, et adressés au comité de Salut Public pour qu’il soit en mesure d’opérer le tri des détenus, mesure destinée à désengorger les prisons et à limiter l'arbitraire lié à l'interprétation extensive de la loi des suspects. Baudouin finira archiviste de la section des Tuileries, détenant chez lui, preuve de la confiance dont il jouit, les papiers du comité révolutionnaire (21).


(20) Source : AN, Registre F*7/2471 et 2472.
(21) Source : AN, F7/4591, plaquette 2.

 

L'année 1789 vit la naissance de la presse quotidienne dont un homme comme Baudouin devait immédiatement saisir les potentialités. Brissot de Warville, qui avait passé quelque temps à Londres en tant que correspondant du Courrier de l'Europe, fut le premier à occuper le terrain avec son Patriote français, le plus ancien des journaux politiques français (22). Le 5 mai 1789, Mirabeau lançait ses États-Généraux, dont le tirage atteignait 12 000 exemplaires. Ensuite, le 1er juin paraissait Le Journal des États de Le Hodey dont le titre fut successivement d'abord Assemblée nationale permanente ou journal logographique, puis Le Logographe, journal national. Le 1er janvier 1792, Baudouin devenait d'abord l'imprimeur puis le propriétaire de ce journal. C'était une grande feuille in-folio, d'apparence assez proche de celle des journaux anglais qui eut certain retentissement à l'époque. Louis XVI en recevait une copie tous les jours, sous pli cacheté, et on dit qu'il ne se couchait jamais sans l'avoir lue. Si cela avait été su, cela aurait peut-être coûté la vie à Baudouin.

Le Logographe est une publication intéressante à l'origine de la transcription intégrale des débats parlementaires français, pris en note par des journalistes qui, pour la première fois, disposaient d'un local particulier. Ces derniers n'utilisaient pas la sténographie mais étaient assez nombreux et chacun prenait tour à tour note d'une phrase. Ce procédé laborieux ne devait pas survivre au journal qui disparut [dans la nuit du 12 au 13 août 1792 qui voit la chute de la monarchie, Thuriot obtient l'interdiction du journal dont les presses sont brisées le 17 août] : la sténographie devait triompher.

Baudouin imprimait pareillement Le Journal des débats dont il devint rapidement propriétaire. Ce journal fut lancé par un avocat auvergnat, Gauthier de Biauzat, député de Clermont-Ferrand, qui imagina correspondre avec ses électeurs au moyen de rapports imprimés. Messieurs Grenier et Huguet, députés de la même région, s'associèrent avec lui dans cette entreprise. Dans une lettre en date du 29 avril 1789, Biauzat expliquait au conseil municipal de Clermont-Ferrand :

« Avec votre approbation, j'ai l'intention de changer la forme de notre correspondance. Ce changement ne va pas affaiblir l’intérêt des informations précises que vous êtes en droit d'attendre à propos de tout ce qui se passe dans l'enceinte de l'assemblée nationale. Mais chacune de ces informations fera désormais l'objet de rapports imprimés, dont vous avez déjà au moins reçu une feuille ou deux. J'ai imaginé cette idée il y a deux mois. J'en ai parlé à M. Baudouin, imprimeur de l'assemblée nationale, en lui traçant les grandes lignes du projet. Cette idée a été acceptée et mise en œuvre la semaine dernière par M. Baudouin et MM. Huguet et Grenier, sans que l'on juge bon de m'en informer. Les choses sont maintenant arrangées et je participerai sans nul doute à la correction de ces feuilles et à la réalisation du plan que j'ai imaginé. »

Le premier numéro complet du Journal des débats paru le 30 août 1789. Baudouin avait accepté d'imprimer ce journal à condition de récupérer le montant de ses ventes à Paris, à Versailles et dans toutes les provinces françaises, l'Auvergne exceptée. Tout ce que Gauthier et ses amis demandaient en matière de rémunération était que le journal fût distribué gratuitement dans toutes les villes ou les villages d'Auvergne qui souhaitaient l'avoir.

 

Au 1er octobre 1791, aucun des initiateurs de l'entreprise n'était plus présent et le journal n'était plus envoyé gratuitement en Auvergne. Baudouin était devenu son unique propriétaire et avait changé sa police d'impression et son format. Les Girondins l'avait obligé à employer Louvet comme rédacteur en chef, avec un salaire de 10 000 francs par an.


(22) Ce point est inexact : le plus ancien journal politique de la Révolution est Le Postillon de Calais, publiée par une femme, madame Fourouge. Une lettre d'Antoine François Vergeul député aux Inspecteurs de la Salle, en date du 9 mars 1793 rappelle que : la citoyenne Fourouge « est l’inventeur du premier journal sous l’Assemblée Constituante qui parut le jour même de la séance ». Source : AN, série AA/40/1228.

 

Les retards permanents de publication de Baudouin contribuent à asseoir la légitimité des journaux, en particulier celle du Journal des débats et du Logographe, publiés par lui. Seuls ces périodiques permettent d'être tenus régulièrement informés des débats des assemblées qui, sans eux, n'auraient été connus qu'après coup, et dans des formes différentes, par les contemporains.

 

Opens external link in new window Prospectus du Journal des Débats et des décrets

 

Baudouin défend avant la lettre une conception hypertexte de la loi. La loi qu’il publie dans sa Collection des décrets est une loi qu’il met spontanément en réseau en proposant un abonnement à un tarif privilégié lorsque l’on s’abonne au Procès-verbal des séances (n° 1, 17 juin 1789) et au Journal des Débats (n° 1, 29 août 1789).

D’après l’ « Avis à MM. les Souscripteurs » que Baudouin rédige et insère dans le premier tome du Procès-verbal de l’Assemblée nationale, le texte seul de la loi révolutionnaire ne permet pas de comprendre la loi révolutionnaire :

 

« [L’] addition du [Journal des débats] était nécessaire au Procès-verbal pour donner une idée complète des opérations de l’Assemblée. Car, pour connaître les motifs qui ont conduit à un Arrêté, l’esprit qui y a présidé, en un mot l’intention, le motif et l’esprit d’une Loi, il faut savoir les circonstances dans lesquelles cette Loi a été proposée, les différens sens sous lesquels elle a été présentée. Ce n’est qu’en rapprochant les opinions, les raisonnements pour ou contre, qu’on peut y parvenir ; et c’est là l’objet principal du Journal des Débats, que MM. Les Députés, qui en reconnaissent l’exactitude, adoptent déjà pour leur tenir lieu de correspondance [...]. »

La loi révolutionnaire, qui n’est autre que l’ensemble des textes à portée juridique imprimés par Baudouin dans sa collection des décrets, est une loi par nature historique. Elle ne peut être justement interprétée que lorsqu’on connecte son texte, comme y invite Baudouin, avec :

-a/ le compte-rendu anonyme des débats de l’assemblée dont la loi est issue, le Procès-verbal.

-b/ les débats parlementaires qui ont vu s’affronter des opinions dissidentes et nominatives (Journal des débats et Logographe) lors de l’adoption de la loi.

-c/ le Feuilleton des décrets, publication quotidienne de l’assemblée destinée aux députés dans laquelle la loi se trouve reproduite, preuve de son authenticité.

-d/ le Bulletin de la Convention dans lequel la loi peut être reproduite pour accélérer sa promulgation et indiquer son caractère d’urgence ou d’exception.

 

Un dernier élément doit être pris en compte : le catalogue de l’imprimeur. Se trouvent, en effet, rassemblés là des textes qui appartiennent à l’histoire de la loi, même s’ils n’ont pas eu d’incidence directe sur son élaboration pour des raisons explicitées par les députés qui demandent leur impression, par exemple :

Opinion de M. Perisse Duluc, député de Lyon à l’Assemblée nationale sur le Papier-monnoie ou Papier forcé en circulation, sans caisse ouverte, du 2 avril 1790, s.l.n.d., 32 p.

p. 32 : « NB : Pour épargner les momens si précieux de l’assemblée nationale, on ne portera pas cette opinion à la tribune, et afin d’y suppléer, on la distribuera imprimée à MM. Les députés. »

Opinion de M. le duc de La Rochefoucauld, député de Paris, sur les assignats-monnaie, le 15 avril 1790, À Paris, chez Baudouin, imprimeur de l’Assemblée nationale, rue du Foin Saint-Jacques, n° 31, 1790, 14 p.

p. 3 : « N’ayant pas compté parler un des premiers de cette discussion, je n’avais point écrit ; mais mon tour venu plus tôt que je ne le croyais, m’ayant mis dans le cas de donner quelques développements à mon Opinion, je crois devoir la soumettre à mes Concitoyens par la voie de l’Impression, ainsi que je l’ai déjà fait sur plusieurs matières importantes qui ont occupé l’Assemblée nationale. »

Thoret, député du Berry, Continuation du projet qui a pour titre Moyens de satisfaire aux besoins les plus pressans de l'État, et d'établir une Caisse Nationale, À Paris, Chez Baudouin, Imprimeur de l’Assemblée Nationale, rue du Fin Saint-Jacques, n° 31, [1789], 26 p.

p. 1 : « Le 13 décembre je donnai à l’impression un Projet qui a pour tire : Moyens de satisfaire…. J’avais alors l’espérance d’en faire distribuer des exemplaires dans les Bureaux, avant le rapport des Commissaires nommés pour l’examen des projets de Banque n’ayant pu le retirer que le 21 décembre, c’est-à-dire après le décret de l’Assemblée, qui a changé la situation des choses, il n’a plus été possible de le présenter aux Bureaux dans l’état où il était. J’ai donc cru devoir y faire quelques modifications pour l’adapter aux nouvelles circonstances où nous nous trouvons. J’a cru aussi que pour faire sortir davantage les principaux objets de mon plan, il convenait de les rédiger sous forme d’articles [...]. »

 


Voir :

Opens external link in new window Anne Simonin, « L’impression de la loi dans la collection Baudouin : l’invention de la loi législative », Clio et Thémis. Revue électronique d’histoire du droit, n° 6, 2013

Opens external link in new window État des publications de François-Jean Baudouin, 1790
Opens external link in new window Prospectus

 

Au début de 1800, Baudouin devait céder le journal aux frères Bertin, dont le journal L'Éclair venait d'être supprimé. Entre leurs mains, le journal devint célèbre.

Parmi les décrets du 16 août 1792 figurait celui qui ordonnait une avance de 15 000 francs à Baudouin pour l'impression des instructions de la Garde Nationale. Cette histoire devait devenir un scandale public. Prévenu par des amis, Baudouin imprimait environ mille affiches placardées dans toute la ville et distribuées aux députés dans lesquelles il contestait vigoureusement avoir reçu cet argent. Appelé à la barre de l'assemblée pour rendre des comptes, il alla jusqu'à traiter de « scélérats » les personnes en charge de la liste civile. Une enquête plus approfondie révéla qu'un faux reçu avait été signé de son nom. Le ministre Bertrand de Molleville et M. Gillet étaient les coupables. L'argent avait été utilisé pour imprimer L'Impartial, une feuille acquise aux intérêts de la cour. L'innocence de Baudouin fut complètement établie.

On raconte que les amis de Momoro, imprimeurs et typographes, qui souhaitaient faire attribuer le titre d'imprimeur de l'assemblée législative à leur protégé, furent mêlés à cette histoire. Momoro était un révolutionnaire passionné. Il est considéré être l'inventeur de la formule : Liberté, Égalité, Fraternité .

Baudouin avait des ennemis et des rivaux jaloux, et ce depuis le début.

 

Réponse de l’imprimeur de l’Assemblée nationale à un avis distribué par le sieur Devaux, libraire au Palais-Royal, du 16 juin 1790

 

« Le sieur Devaux, libraire au Palais-Royal, vient de publier un avis par lequel il annonce qu’il paraît chez moi une collection des décrets de l’Assemblée nationale qui n’est rien moins que fidèle ; et il offre charitablement, et sûrement par pur patriotisme, de rectifier mes erreurs, en donnant gratis les décrets omis dans ma collection.

Je ne puis qu’applaudir au zèle et aux sentiments de délicatesse et d’honnêteté qui animent le sieur Devaux, je crois devoir aussi prévenir le public que déjà j’ai annoncé moi-même ce que le sieur Devaux publie aujourd’hui dans son avis (1).

Les demandes qui m’ont été faites de tous côtés, et particulièrement de la Province, m’ont engagé à user de la plus grande célérité, malgré la persuasion où je suis que ce ne sera qu’avec le temps qu’un recueil de ce genre pourra recevoir toute la perfection dont il est susceptible. C’est donc à mon seul empressement qu’on devait imputer quelques omissions d’un côté, et quelques doubles emplois de l’autre, dont je me charge de supporter seul l’inconvénient. Tout sera réparé dans la quatrième partie, et l’acquéreur sera sûr d’avoir la collection exacte et complète, à l’ordre méthodique près, qui ne pourrait être que prématuré. Il est tout simple que le sieur Devaux apportant à son recueil un soin tout particulier, et donnant gratis environ 4 feuillets oubliés dans ma première partie, vende [illisible] liv. ce que je donne pour 5 liv. 16 s. Et même pour laisser à son édition tout l’avantage qu’il réclame si généreusement, je baisse le prix de la mienne en faveur de la classe la moins fortunée, mais non la moins estimable de mes concitoyens.

C’est un juste retour que je crois devoir au sieur Devaux pour l’honnêteté qu’il a eue de s’approvisionner chez moi pour la première partie ; mais je ne peux lui savoir gré de l’art qu’il a employé pour cacher la source, en substituant sur le titre son nom au mien.

Je me serais abstenu de divulguer cette petite manœuvre, si le sieur Devaux, par l’avis qu’il vient de distribuer, ne donnait à penser à mes concitoyens, dont l’estime m’est plus précieuse que ma fortune, que, poussé par une basse jalousie, j’avais voulu lui dérober le fruit de ses labeurs, moi qui, à cet égard, aurais plus de droit à me plaindre que lui !

À compter de ce jour, les trois parties de la collection des décrets de l’Assemblée nationale, sanctionnés ou acceptés par le Roi, sont de 4 liv. pour 4 s. pour Paris et de 4 liv. 16 s., franc de port pour la province. Pour la suite chaque feuille ne sera comptée qu’à raison de 2 liv. 6 d.

Je profite également de cette occasion pour prévenir que c’est par erreur que dans un prospectus qui vient d’être affiché, on a avancé que le procès-verbal de l’Assemblée nationale coutait plus de 200 liv. Ce recueil ne coûte actuellement que 105 liv. y compris la sixième livraison (2). J’espère de la probité de l’auteur de ce prospectus, une rétractation publique de cette erreur.

(1) Voyez L’avis inséré au Journal des débats, et l’errata mis en tête de la troisième partie des décrets.

(2) Déduction faite de ce que peut valoir le Journal des débats, envoyé gratis aux souscripteurs du procès-verbal. »

Source : British Library, Crooker Collection, cote : R 379

 

Baudouin avait aussi d'excellents amis qui lui étaient très dévoués. Mirabeau fit une fois une intervention en sa faveur, le présentant comme l'homme « qui a fait tant d'impressions dans le monde ». Il lui était parfois nécessaire d'imprimer des pamphlets et des manifestes afin de contredire des rapports diffamatoires. La citation suivante, du 5 septembre 1792, est typique :

 

La brochure imprimée par Baudouin, dont on reproduit ici le texte in extenso, date, en réalité, du 1er octobre 1792 et du 25 septembre 1792.

 

François-Jean Baudouin, imprimeur de la Convention nationale, à ses concitoyens, du premier octobre 1792, l'An premier de la République

 

J'ai été inculpé comme ayant reçu des sommes de la Liste civile, pour subvenir aux frais du Logographe : je déclare à mes Concitoyens, comme je l'ai déclaré ce matin à la Convention Nationale, que je n'ai reçu directement ni indirectement aucune somme de la Liste civile pour quoi que ce soit, et que je n'ai jamais eu aucune relation avec les Agens de cette infâme Liste.

J'ai demandé l'examen le plus sévère de ma conduite, que je ne crains pas de mettre au jour.

Dès le mardi 25 Septembre dernier, au soir, j'ai eu par un Membre de la Convention, connaissance de la dénonciation qu'on devait faire et j'ai mis sur le champ, dans les mains du citoyen Bazire, membre du comité de Sûreté Générale de la Convention, la déclaration suivante :


25 septembre 1792, l'an premier de la République

Je soussigné, imprimeur de la Convention nationale, déclare aux Représentants de la Nation, composant le Comité de Surveillance, que je viens d'apprendre à l'instant qu'il se répand une calomnie atroce contre moi. On avance que je suis compris dans un état trouvé dans les papiers de Tourteau-Septeuil, pour une somme de deux cent mille livres destinée au Logographe. J'affirme sur mon honneur que le fait est faux ; que je n'ai jamais touché ni directement ni indirectement aucune somme de la Liste civile ; que je ne connais pas la demeure même des Agens de cette abominable liste ; je demande avec instance au Comité de Surveillance, de provoquer l'examen le plus sévère de ma conduite, et d'éclairer ce fait, imaginé sans doute, pour me faire retirer la confiance dont je suis honoré depuis 1789, par les Assemblées Constituante et Législative, et que je m'efforcerai de mériter pour la Convention nationale. Il importe d'écarter de l'homme innocent jusqu'aux soupçons d'une pareille bassesse, et de livrer à la sévérité des lois l'infâme qui s'en seroit rendu coupable.

Signé, Baudouin

 

Des pièces authentiques prouveront que bien loin d'avoir jamais participé à la Liste civile, j'ai été obligé d'exercer des poursuites continuelles contre les propriétaires du Logographe vis-à-vis desquels j'ai toujours été en avance ; que dès le mois de Mai dernier, il m'était dû 19 000 livres sans compter :
1° - les sommes dues à différens fournisseurs et rédacteurs ;
2° - les avances que j'avais faites pour ma part dans cette entreprise qui sont perdues pour moi.

Je me suis pourvu dès ce temps contre ces propriétaires devant le Tribunal de Commerce. Des arbîtres nommés par lui, dont je déposerai le rapport, ont liquidé vis-à-vis d'eux ma créance.

La justice que j'attends des Commissaires de la Convention, sera la réponse définitive à cette dénonciation, absolument dénuée de preuves. J'emploierai tous les moyens possibles pour découvrir et rechercher ceux qui, ayant voulu me faire inscrire sur cette Liste de corruption, ont ainsi compromis mon honneur et ma probité de la manière la plus cruelle, en m'exposant à perdre l'estime de mes concitoyens.

Baudouin

 

Source : BHVP, cote : 603 037/13

 

L'affaire du Logographe est l'une des deux grandes affaires auxquelles sera mêlé Baudouin en tant qu'imprimeur de la Convention ; la seconde, qui surviendra en août 1793, est l'affaire Tallien (voir ci-après).

Baudouin a maille à partir avec la gauche de l'assemblée toujours à des époques particulièrement tendues d'un point de vue politique : la destitution du roi Louis XVI et la chute de la monarchie dans le cas du Logographe ; la mise en place du tribunal révolutionnaire et la mise en place d'un état d'exception connu sous le nom de Terreur, lors de l'affaire Tallien en 1793.

En 1792, la brochure citée in extenso montre comment Baudouin procède quand il est mis en cause gravement : imprimeur d'une assemblée en lutte contre le roi, il serait, selon des papiers découverts dans l'armoire de fer après la journée du 10 août, un homme stipendié par la Liste civile, acquis aux idées monarchistes...

Prévenu de la gravité des inculpations qui pèsent sur lui par un « membre de la Convention » qu'il ne nomme pas, Baudouin réagit vite, — « sur le champ » — et traite avec un sérieux égal la scène de la Convention — à laquelle il fournit une déclaration et réclame l'examen sévère de sa conduite — et la scène judiciaire — transmettant les « pièces authentiques » aux juges de sa conduite.

L'interrogatoire de Baudouin par la Commission extraordinaire mise sur pied par la Convention, le 1er octobre 1792, sous la présidence du député proche des Girondins, Charles Jean Marie Barbaroux, Commission dite des Vingt Quatre, a été conservé (Source : AN, F7/4386). L’interrogatoire de François-Jean Baudouin est transcrit intégralement ci-après.

Outre le sérieux de l'information, on relèvera les informations précises concernant l'histoire du journal Le Logographe, tant concernant le montage financier de l'entreprise que les réseaux politiques qui soutiennent ce montage financier.

Les pièces afférentes à cet interrogatoire figurent également au dossier (Opens external link in new window Voir le dossier).

Moins de deux mois après l'affaire du Logographe, Baudouin doit encore se justifier publiquement des accusations portées contre lui par la gauche de l'assemblée, par la voix du dantoniste Jacques Alexis Thuriot.

Le 12 décembre 1792, Thuriot s’en prend cette fois vigoureusement à Baudouin pour « n’avoir pas tenu [ses] engagements envers les Constituants », pour « n’avoir pas encore imprimé le Procès-verbal entier de l’assemblée législative » et « n’avoir point encore distribué de Procès-verbaux de la Convention », alors même que Baudouin doit, au titre du Règlement, le distribuer gratuitement aux députés par mois et par volume .

Nouvelle brochure en défense imprimée par Baudouin :

Baudouin imprimeur de la Convention nationale aux citoyens-députés,
samedi 15 décembre 1792, l'an premier de la République


Le citoyen Thuriot a présenté dans la séance de mercredi dernier, quelques griefs contre moi et pour lesquels j'ai adressé sur-le-champ, une lettre au Président. Les objets intéressants dont s'est occupée l'Assemblée, n'ont permis d'en entendre la lecture que ce matin. Je crois devoir faire connaître aux Citoyens-Députés, d'une manière plus particulière, ma réponse à ces inculpations.

Premier grief : De n'avoir point encore distribué de Procès-verbaux à la Convention
Je n'ai, dans ce moment, de manuscrit que jusqu'au 11 octobre ; et par son règlement du 25 septembre dernier, la Convention m'a enjoint de ne lui distribuer que par mois et par volume. Je demande, d'après cela, si j'ai pu déjà délivrer des Procès-verbaux. J'observe en outre que le manuscrit est mauvais, ce qui donne lieu à faire, ce qu'on appelle, en terme d'Imprimerie, des remaniemens sur épreuves. La célérité avec laquelle s'impriment et se distribuent journellement les Opinions, Rapports, Projets de décrets, etc. doit prouver ma bonne volonté, et mon exactitude à remplir mon devoir. Je profite de cette occasion pour engager les Citoyens-Députés à seconder mes effortd, en me remettant promptement les objets dont l'assemblée ordonne l'impression.

Second grief : De n'avoir pas enore imprimé le Procès-verbal entier de l'assemblée législative.

On ne doit pas ignorer que la minute de la Séance du 23 août dernier a été perdue, et que, par Décret, la Conventio a nommé les Citoyens Calon et Lasource pour faire ce Procès-verbal. Cette Séance a suspendu le volume 13 déjà commencé et m'a empêché de distribuer le 14eme, qui est fait. Je n'ai reçu qu'hier la fin de la copie du 15eme et dernier. J'observe, en outre, que les Procès-Verbaux ont été égarés, et n'ont été que successivement recouvrés après de longues recherches.

Troisième grief : De n'avoir pas tenu mes engagemens envers les Députés constituants.

Je leur ai promis de leur distribuer, sans aucune rétribution, le Procès-Verbal in-4° de leurs Séances. Deux volumes seulement sont livrés ; deux autres sont sous presse, et seraient finis si 1° les travaux, dont a été surchargé l'Archiviste, nommé par Décret pour la confection et la surveillance de cette édition, n'en eussent retardé l'impression ; si l'énorme augmentation du papier (particulièrement celui que j'emploie à cet ouvrage, ne m'eût forcé de ralentir, dans l'intime confiance que l'Assemblée Constituante, en agréant mon hommage, n'a pas prétendu, sans doute, exiger de moi un sacrifice bien au-dessus de mes moyens. La gratification qu'elle m'a voulu donner, et dont a parlé le citoyen Thuriot, n'était nullement pour m'indemniser de cet Ouvrage, mais pour me donner un témoignage de son contentement, au moment où, montrant un compte de clerc-à-maître, présenté sous trois rapports différents, elle a cru de sa justice de vouloir que son Imprimeur eût, après une immensité de travaux pénibles, pendant près de trois années, un bénéfice qu'elle a cru lui être légitimement dû. Au surplus, je ne puis que m'applaudir de l'indulgence que veulent bien m'accorder, sur ce retard involontaire, et que nécessitent les circonstances, les Membres de l'Assemblée Constituante ; et leur manière obligeante serait bien faite pour me rappeler mon engagement, si j'étais assez mal honnête homme pour l'avoir oublié.

Baudoüin

Reprenons. Le 15 décembre 1792, Baudouin n'a toujours pas terminé d'imprimer les procès-verbaux de la Constituante, pas non plus ceux de la Législative, et il n'a pas commencé à distribuer ceux de la Convention... Son art de l'excuse est admirable : la flambée des prix du papier a ralenti son zèle (pour la Constituante) ; le procès-verbal perdu de la séance du 23 août 1792 a interrompu son travail (pour la Législative) ; la multiplicité des “remaniements sur épreuves” fait obstacle à toute publication rapide (pour la Convention).

Les faits sont là : Baudouin accumule les retards et Thuriot porte la critique, de façon très habile, sur l'absence de réalisation de sa seule obligation statutaire, celle inscrite dans le décret du 24 juin 1789 et détaillée dans le Règlement intérieur de l'assemblée du 29 juillet 1789 (supra) : l'impression du procès-verbal de l'assemblée.

Baudouin contre-attaque. Il importe dans l'arène parlementaire des techniques judiciaires en rédigeant son mémoire en défense sous la forme d'un interrogatoire, comparable à celui qu'il a subi quelques mois plus tôt devant la Commission des 24. Se faisant, il transforme ipso facto Thuriot de critique en accusateur et peut mobiliser en sa faveur la droite de la Convention : les critiques (fondées) de Thuriot sont disqualifiées à partir du moment où elles peuvent être interprétées comme des attaques politiques.

 

Après que Baudouin eut rejoint le Club des Jacobins, sa vie fut constamment menacée. Le 9 mars 1793, il fut l'objet d'un long débat à l'assemblée. Quelques membres se plaignirent que son travail était en retard. Il répliqua hardiment que ses ouvriers avaient été rappelés par leur section pour des raisons de service militaire et il demanda qu'on veuille bien lui fournir les raisons pour lesquelles leur place ne se trouvait pas à l'imprimerie nationale. D'autres députés rétorquèrent que s'il arrêtait d'imprimer de si nombreuses brochures privées infectées d'esprit aristocratique, il aurait suffisamment d'ouvriers à sa disposition pour réaliser sa mission officielle. Ce dernier point s'attira la réplique : « Vous attaquez la liberté de la presse ! ». Le député Thuriot l'accusa alors d'attiser les troubles en province avec ses journaux et Tallien demanda la constitution d'une commission pour examiner son cas. Quand le rapport issu des travaux de ladite commission fut présenté à l'assemblée , il établit que la conduite de Baudouin était irréprochable et une motion fut adoptée, précisant qu'il n'avait jamais trompé la confiance de la Convention.

 

 

La vie de Baudouin était-elle en danger au printemps de l'année 1793 ? Aucune des preuves dont on dispose ne permet de l'affirmer. Ce qui est certain est que O.F. Abbot emmêle deux affaires.

Le 9 mars 1793, jour de la création du tribunal criminel extraordinaire, futur tribunal révolutionnaire, Baudouin est encore une fois sur la sellette. Alors qu’il demande par lettre à la Convention de ne pas réquisitionner les ouvriers dont il a besoin pour faire tourner ses soixante presses, il s’attire cette réplique cinglante de Maure : « Que Baudouin n’imprime pas les diatribes [du girondin] Louvet et il aura assez d’ouvriers. » Son rôle comme imprimeur du Journal des Débats –« qui porte la peste de l’aristocratie dans tous les départements » — est également mis en cause par la Montagne. Thuriot, une nouvelle fois, attaque Baudouin. Il exige de « rappeler absolument [Baudouin] à la lettre de son contrat », en vue de lui interdire d’imprimer autre chose « que ce qui sort de la Convention », tels le Journal des débats et des décrets et les textes que lui apportent les députés qui font imprimer à leurs frais motions, opinions et rapports qui échappent au contrôle de l’assemblée, Barbaroux, réplique : « Je dis que si l’imprimeur Baudouin a manqué à son contrat nous devons le contraindre à l’observer, ou décréter qu’il n’est pas permis d’émettre son opinion (Murmures prolongés sur la Montagne). » D’où l’adoption d’un décret qui redéfinit les rapports de Baudouin et de l’assemblée pour la première fois depuis 1789 :


Décret concernant l'imprimeur de la Convention, 9 mars 1793

 

La Convention nationale décrète que l'imprimeur de la Convention ne pourra imprimer que ce qui émane de l'assemblée.

 

Ce décret n'aura pas de suite. Baudouin imprimera tout aussi librement qu'auparavant... dès le mois d'avril 1793, — à plus grande échelle encore pour être sûr de ne favoriser aucun parti ?

Après l'élimination des Girondins, et un relevé d'inexactitudes dans les procès-verbaux de la Convention des journées des 31 mai, 1er et 2 juin 1793, Tallien, qui considérait Baudouin comme acquis à la cause des Girondins, devait reprendre ces accusations et provoquer l'examen de la conduite de l'imprimeur.

Baudouin comparut le 14 août 1793 devant le comité des Inspecteurs de la Salle, cette fois.

 

Rapport fait à la Convention Nationale au nom du comité des Inspecteurs de la Salle et de l’Imprimerie, par Sergent, député élu dans le département de Paris, Sur la conduite du citoyen Baudouin, Imprimeur de la Convention Nationale

 

À la suite de cette « affaire Tallien », Baudouin rejoint les Jacobins auxquels il fit don de sa médaille d'électeur de 1791 « comme portant l'effigie d'un tyran » : « Ces preuves réitérées de républicanisme lui valurent la confiance des Sans-Culottes et il devint membre du comité révolutionnaire de la section des Tuileries (lien interne au texte renvoyant à la partie où cet épisode est traité ?) »


(Source : Galerie historique des contemporains ou Nouvelle biographie, Bruxelles, Auguste Wahlen, 1817, t. I )

 

Une année après, ses ennemis lui tombèrent dessus et pour quelques semaines Baudouin fut en grand danger. De retour de Rouen où il avait mené à bien une mission, il était arrêté par ordre des Terroristes en compagnie d'autres jacobins . Il fut d'abord emprisonné à Vincennes — il fut le seul prisonnier à être envoyé là pendant la Terreur — mais comme cette maison d'arrêt était réservée aux femmes criminelles, il fut rapidement transféré au Luxembourg puis à la Force. On prévoyait de l'envoyer dans la forteresse de Ham mais, avant son départ, la vérité éclata. Il dut sa liberté aux efforts de ses amis, en particulier à ceux du député de Versailles, Lecointre.

 

 

Baudouin aurait donc été « suspect ». Un dossier de la série F7, conservé aux Archives nationales, atteste son arrestation, le 19 vendémiaire an III (10 octobre 1794) et son emprisonnement à Vincennes puis du Luxembourg où il restera jusqu’au 4 pluviôse an III (23 janvier 1795). Gardé à domicile ensuite, Baudouin ne recouvrera sa pleine liberté que le 18 prairial an III (6 juin 1795), et ses armes, donc sa pleine citoyenneté, que le 1er fructidor an III (18 août 1795).

Mais ce même dossier précise bien que « Baudouin n'est pas arrêté comme suspect ». Il a visiblement rempli sa mystérieuse (i.d. non identifiée) mission dans la commune de Rouen, en compagnie du citoyen Lacombe, en qualité de commissaires de la section des Tuileries, à la demande et à la satisfaction du comité de Sûreté générale : « Il s’est comporté de manière à mériter l’estime et la confiance des vrais patriotes, et [...] il a manifesté des principes entièrement opposés au système de sang et de terreur que les conspirateurs avaient substitué à la Loi et à la justice [...] ». Alors pourquoi est-il décrété d'arrestation après la chute de Robespierre ? Et ce d'autant plus qu'il ne peut être assimilé aux partisans de ce dernier :

 

Attestation d’un représentant du peuple

 

« J’atteste qu’un Mois avant la chûte de Robespierre, le citoyen Baudoin, imprimeur de la Convention, m’a accosté dans le Sallon de la Liberté, et s’est expliqué avec moi sur l’oppression du tyran, d’une manière à le faire croire qu’il étoit moins son Partisan que son ennemi. Il mit une franchise et une expansion dans ses Plaintes qui m’enhardit à Lui avouer que des amis de la Liberté travailloient à faire tomber Robespierre, à détruire le système de terreur, et à faire régner en place la justice ; qu’il falloit prendre Patience, et que cela ne pouvoit aller loin. Il témoigna la plus grande joie de cette espérance ; me promit de garder le secret, et d’aîder de tout son pouvoir les coopérateurs de cette heureuse Révolution. Je l’ai vu depuis plusieurs fois. Ah ! quand sera le jour heureux, me disoit-il, en me serrant la main chaque fois qu’il me rencontroit ? Bientôt, lui répliquois-je ; et constamment, il m’a tenu le même langage, jusqu’au 10 thermidor qu’il m’a témoigné sa joie de ce que nous avions fait ce jour là pour la Liberté,

À Paris, le 28 vendémiaire l’an 3
Poultier, Représentant du peuple »

 

Pourquoi Baudouin est-il mis aux arrêts sous la Convention thermidorienne où son anti-robespierrisme aurait dû lui valoir à tout le moins la bienveillance des nouvelles autorités constituées ?

On fera l'hypothèse que Baudouin, qui accumule les témoignages politiques en sa faveur, tente de se constituer « suspect ». Il veut faire passer pour politique une arrestation qui est de nature plus prosaïque : la non-réalisation de ses obligations d'imprimeur officiel de l'assemblée.

Un ordre, sans date, délivré par le département de Paris figure dans le dossier F7. Il est ainsi rédigé : « Ordre au citoyen Baudouin imprimeur de la Convention de fournir au comité de sûreté générale seize exemplaires du recueil complet des lois révolutionnaires y compris celle du 17 septembre 1793 ».

Ces collections de lois réclamées par le comité de Sûreté générale, Baudouin n’est pas en mesure de les fournir, est-ce parce qu’imprimant beaucoup, il travaille en flux tendus, et que les difficultés d’approvisionnement en papier lui interdisent de constituer des stocks ? Est-ce parce que, comme l’indique Le “Prospectus” rédigé pour Le Journal des Débats reproduit plus haut, les décrets, contrairement aux procès-verbaux de l’assemblée, sont à l’origine imprimés par feuille et ne seront rassemblés dans des collections reliées.

L’impossibilité dans laquelle se trouve Baudouin de satisfaire la demande du comité de Sûreté générale valide rétrospectivement l’ensemble des critiques adressées à l’imprimeur de la Convention. Ce serait donc pour faute professionnelle que Baudouin aurait fait trois mois de prison et aurait ensuite été assigné à domicile pendant six mois. Ce traitement de faveur est obtenu sur intervention de Lecointre, membre du comité de Sûreté générale qui semble adoucir sa position vis-à-vis de Baudouin après son coup de semonce.


Source : AN, F7 4589/1. Plaquette 3, p. 87-99

 

Après cet épisode, Baudouin devînt plus circonspect. Ses presses furent mises à la disposition des vainqueurs du jour. Son activité était prodigieuse et ses impressions comptent un nombre immense de pamphlets politiques. Lafayette, Talleyrand, Benjamin Constant, Boissy d'Anglas, Dupin aîné, Casimir Périer, Foy, Lanjuinais, Salvandy, Volney, Royer-Collard, de Broglie, Cormenin et d'autres sont parmi ses clients.

Les choses auraient pu se passer différemment pour Bonaparte le 9 novembre 1799 si Baudouin n'avait été à la foi un homme intelligent et de sang-froid. Il était dans le secret mais avait son propre avocat. Quand il fut interrogé par le Conseil des Cinq Cents, il sut tenir sa langue sans altérer la vérité.

Son jeune fils, Alexandre, alors âgé de dix ans, fut le héros d'un incident lors de la nuit mémorable du 8 novembre. Lucien Bonaparte avait demandé à Baudouin de passer tard aux Tuileries pour récupérer un document à imprimer immédiatement. Le palais était entouré de gardes et Baudouin ne put en approcher. Il existait une porte latérale conduisant à son imprimerie que les membres du Conseil avaient pris l'habitude d'utiliser pour venir corriger leurs épreuves. Cette porte était également gardée. Alors que Baudouin se disputait avec les gardes, son fils passait entre les jambes d'un grenadier et trouvait le chemin de la Chambre du Conseil. Le général Bonaparte s'y trouvait seul, assis à une petite table noire. Quand l'enfant expliqua ce qu'il était venu chercher, Bonaparte lui tendit une feuille de papier sur laquelle il venait d'écrire sa proclamation, et tirant sa montre de son gousset dit : « Je veux ceci imprimé et distribué dans moins de deux heures ».

Même si Baudouin mit tout son savoir-faire à la disposition de Bonaparte, il ne semble pas avoir été reconnu à sa juste valeur. Quand l'imprimerie impériale fut organisée en 1805, un Orientaliste du nom de Marcel, qui avait fait partie de l'expédition d'Egypte, fut nommé à la tête de l'établissement et Baudouin perdit son privilège d'imprimeur officiel.

 

« L’Imprimerie Impériale est l’héritière de l’Imprimerie de la République, elle-même née en 1795 de la fusion de l’ancienne Imprimerie royale et de l’Imprimerie nationale et de l’Imprimerie du Bulletin des Lois. […] elle se développe fortement sous l’Empire, sous l’impulsion de J-J Marcel qui en est devenu le directeur en 1803. Sous sa direction, plus de cinquante presses et dix-sept nouveaux caractères sont installés  ».

Baudouin, dans son Mémoire et projet de règlement concernant l'administration de l'imprimerie impériale (1808, p. 12) s’insurge contre son très mauvais fonctionnement : « Pourrait-on soutenir, contre l’évidence, et sans mentir à sa conscience, que l’administration de l’Imprimerie Impériale ne referme point d’abus et n’est pas onéreuse à l’État […]. Dans ce siècle si fertile en prodiges, l’Imprimerie devra-t-elle rester au dessous de ce qu’elle était dans les temps de l’ignorance ? […] Qui peut mieux que le Ministre auquel je soumets ces observations, attester la miraculeuse activité de cette imprimerie nationale, dont je fus le créateur […] elle mérita toujours, par la promptitude dans l’exécution et la ponctualité des travaux […]. Je ne m’attendais guère que pour prix des sacrifices d’une partie de ma fortune perdue successivement par plusieurs révolutions, je me verrais au bout de seize ans enlever les impressions du corps législatif [...]. »

La perte de son privilège d'imprimeur entraîne pour Baudouin une faillite retentissante. “L’an treize d’un mercredi 28 ventôse (15 mars 1805), dix heures du matin, par devant MM. les juges du tribunal de commerce étant en leur chambre du conseil” Baudouin déclare un passif de plus 500 000 francs et un actif personnel de 800 000 francs.



Le dossier de sa faillite est conservé aux Archives de la Ville de Paris sous la cote :
D 11 U 3 carton 27, dossier n° 1864.

 

Cette même année, il partit pour Saint-Pétersbourg pour fonder une imprimerie impériale pour le tsar Alexandre 1er, imprimerie dont il fut un temps directeur, probablement sur la suggestion de Talleyrand. Mais à cause de changements intervenus dans le gouvernement russe et de la guerre avec la France, Baudouin dut quitter la Russie sans avoir réalisé ses plans. De plus, il ne reçut aucune compensation ni pour ses frais de voyage ni pour la perte de temps occasionnée. A son retour à Paris, il devait publier un plan complet pour l'établissement d'une entreprise d'impression et d'édition d'état [Mémoire et projet de règlement concernant l'administration de l'imprimerie impériale, 1808].

 

Des recherches menées par Elisabeth Liris dans les archives d'État russes à Saint-Pétersbourg permettent d'être un peu plus précis sur ce que fit Baudouin entre 1805 et 1809, notamment sur les divers plans qu'il rédigea à partir du 8 février 1806 pour créer auprès du tsar « une Imprimerie à l'instar de celle du gouvernement français. »

 

Opens external link in new window Mémoire sur l’établissement d’une fonderie en caractères de langues anciennes et modernes ou d’une Imprimerie à l’instar de celle du Gouvernement Français.

 

Je suis venu en Russie écrit-il pour venger la gloire de l’Imprimerie, ce que personne n’a même proposé. Cette entrée en matière a pu apparaître à la fois prétentieuse, humiliante et erronée. L’imprimerie russe, en effet, est florissante dès 1710 avec Weyprecht, puis au début des années 1800, grâce à Novikov et Stroganov. Elle compte dans ses rangs de brillants imprimeurs, tels les frères Fauche qui utilisent les caractères didot, A. Ponomar ou Fridrich Brunkow.

Baudouin se présente en croisé de la cause de l'imprimerie et de la gloire de sa nouvelle patrie d'adoption ¬— « Leipzig, cette capitale de la librairie européenne verra un jour la Russie en concurrence avec les autres nations étonnées, effrayées bientôt d'un tel prodige, mais vainement ! » (lettre du 12 janvier 1806) — quand il est, en réalité, aux abois.

Il a quitté la France après sa faillite, confiant la gestion de son imprimerie aux soins de sa femme, il vient chercher en Russie « le repos et le bonheur de [sa] famille » (lettre du 8 février 1806), et se montre de plus en plus insistant et désespéré quand rien ne se décide en sa faveur, décrivant « le besoin passionnel voisin de la détresse [...] qui m'enlève en ce moment tout moyen d'exister, ce qui fait des délais un véritable supplice » (lettre au comte de Koutchoubey, le 30 janvier 1807).

Blessé par la façon dont il a été traité et par Bonaparte et par le sort, Baudouin règle ses comptes.

Ses plans successifs d'imprimerie impériale sont du plus grand intérêt non pas tant pour l'histoire d'une imprimerie idéelle que pour comprendre l'état d'esprit d'un homme au sortir de la Révolution. Baudouin vient chercher en Russie dignité, reconnaissance, stabilité, sécurité.

Il ne veut plus être « Imprimeur de l'Institut des Sciences et Arts de France », selon la formule habituelle qui suit sa signature. Il revendique le titre de « Directeur privilégié » ¬du nouvel établissement ¬—majuscule de rigueur.

Ce « Directeur privilégié » tel qu’il le conçoit transmet ses fonctions à « ses enfants mâles par ordre de succession ». Il dispose de la « jouissance absolue » du fonds d'imprimerie et de tous les ustensiles et objets nécessaires à son activité. La future imprimerie impériale est explicitement pensée sur le modèle de l'ancienne imprimerie royale : « Tel était le système adopté par l’Imprimerie Royale de France depuis Louis XIV », commente Baudouin : « La famille Annisson Dupeyron fut chargée, pendant près de deux siècles de cette direction. Elle s’en acquitta avec honneur et environna l’Imprimerie Royale de cette gloire qui rejaillit encore sur l’Imprimerie du Gouvernement français [...]. Lors de la Révolution, l’esprit de faction des intérêts personnels ont fait changé le mode de cette administration [...] » (Observations communes aux deux parties, 12 janvier 1806).

Alors que Baudouin n'est jamais parvenu à avoir le monopole du titre « imprimerie nationale », il exige que le futur établissement soit « décoré d'un titre particulier » et que son Directeur privilégié soit « honoré d'un grade distingué »...

On pourrait multiplier les exemples de la tentation conservatrice dont ces projets portent la trace mais on ne rendrait pas tout à fait justice à Baudouin qui reste fils de la Révolution sur au moins deux points.

L'imprimerie royale se conçoit « propriété inaliénable de la Couronne » : Baudouin valide ici la solution du décret du 14 frimaire an II (4 décembre 1793) qui créée une imprimerie spéciale, régie aux frais de l'État, sous la dénomination d'Imprimerie nationale des lois.

« Le Directeur privilégié sera tenu de fournir gratuitement (on fixera le nombre) des exemplaires en papier vélin de tous les exemplaires des ouvrages qu'il imprimera pour être présentés à sa Majesté Impériale et remis à la Bibliothèque Impériale [...] » : la servitude de l’impression gratuite demeure, et Baudouin entend faire respecter les intérêts de l’État russe au service duquel il se met désormais, comme il a toujours respecté, de son point de vue, les intérêts de l’État républicain en ne gagnant pas d’argent à son service.

Celui qui, le 30 janvier 1807, signe « Baudouin, imprimeur Maison Naviossof, n° 37 rue des Officiers au-delà du Pont », multiplie les plans et les envois pour essayer de convaincre ses interlocuteurs et ses protecteurs :

 

Plan proposé au Directoire de l'Imprimerie Publique pour la formation de l'Imprimerie de la Couronne, semblable à celle du gouvernement Français, autrefois Imprimerie impériale par François-Jean Baudouin

 

« [...] Comme l’établissement doit appartenir à la couronne, il doit avoir un titre qui annonce cette propriété, et lui donne un relief nécessaire à sa prospérité et à sa perfection en manifestant la protection spéciale du souverain.

Le titulaire étant au service de sa Majesté doit jouir du rang qui le constate. Le succès de cet établissement l’exige. En effet, les ouvriers, hors les Instituteurs, doivent être tous russes et il faut que leur chef ait une prépondérance et une autorité respectable qui puissent lui donner les moyens de tenir les Ateliers nombreux dans une obéissance et la plus sévère discipline.

 

Acquisitions de 2 500 poinçons, gravés par Henri Didot, élève et cousin de Firmin Didot qui a gravé les superbes caractères du Virgile et du Racine, imprimés par Pierre Didot, le plus célèbre des imprimeurs français.

Ces caractères sont très beaux et dignes de l’établissement. Ils éviteront une gravure très considérable et très dispendieuse, et feront gagner un temps précieux. Ils présentent aussi l’avantage de ne pas faire une acquisition trop forte d’autres caractères tous fondus [...].

Toute l’exécution du plan est facile. Et toute confiance qu’un étranger, surtout un français, depuis peu de temps en Russie pouvait exciter raisonnablement a du cesser par l’honorable adoption que sa Majesté a daigné faire de moi comme sujet [...]. »

 

Le désordonné de ses notes l'atteste : l'ancien sans-culotte est un courtisan malheureux. Baudouin se plaint beaucoup, et parle trop. A-t-il surestimé les appuis dont il pensait pouvoir disposer en Russie ? A-t-il sous estimé les exigences techniques auxquelles il allait être confronté ? La guerre a certainement contrarié ses projets, mais Alexandre 1er est pragmatique : il est en quête de l'excellence pour son imprimerie. Et l'excellence appartient aux Didot, pas (ou plus) à Baudouin. En 1809, sans rien avoir obtenu, désargenté, Baudouin rentre à Paris.

L'enquête sur les imprimeries de 1810 note le concernant : « Depuis un an revenu de Saint-Pétersbourg, où il n'a rien fait. De retour à Paris, a trouvé des bailleurs de fonds et reprend : sa réputation le sert [...]. Montre beaucoup de soumission aux lois [...]. »

En 1814 l’Empereur est en visite à Paris. C'est l'imprimerie Didot qu'il visite ainsi que l'atteste une vignette gravée par John Quartley, d’après Émile Wattier, intitulée : Le tsar Alexandre Ier visitant l’imprimerie de Firmin Didot en 1814.

 

Ses économies, comme celles de ses contemporains, s'étaient évanouies suite à la dépréciation des assignats. La perte de son privilège d'imprimeur et son voyage désastreux en Russie [...] achevèrent sa déconfiture. Il obtint une place dans l'administration des Droits-Réunis et fut, en 1813, envoyé à Groningue comme contrôleur en chef de l'octroi. La révolution en Hollande mit fin à ses fonctions, quatre mois après son arrivée.

Une nouvelle fois de retour en France, Baudouin fut employé à la section de la librairie et de l'imprimerie du ministère de la Police. Il devait perdre son emploi en 1821 lors de la chute du ministère Decazes. En dépit de son grand âge [soixante-deux ans], il continua de travailler et rejoint Le Moniteur en tant que rédacteur pour les affaires parlementaires.

Ses trois fils étaient maintenant adultes et installés. L'aîné, Jean-Marie Théodore, était un auteur de théâtre, alors que Alexandre et Hippolyte étaient à la tête de la plus importante maison d'édition de Paris avant 1830. Madame Baudouin, leur mère, écrivait des contes pour enfants qui furent publiés sous son nom de jeune-fille, Carouge.

Baudouin semble avoir été un organisateur né, très concerné par le désordre connu à l'imprimerie royale sous la Révolution, le Consulat et l'Empire. Dans un long mémoire publié en juin 1814 [Mémoire sur la nécessité de faire administrer l'imprimerie royale d'après le système suivi en 1789 et de restreindre ses attributions], il présenta les raisons pour revenir au système adopté en 1789 et releva les erreurs et la mauvaise gestion des régimes successifs. Quand la vieille imprimerie royale devint propriété publique et que le matériel de Duperron fut confisqué et transporté en charrette à l'Hôtel de Toulouse, la gestion de l'imprimerie avait été confiée au premier commis de Duperron, Duboy-Laverne, peu savant dans l'art d'imprimer. Le nouveau responsable eut la tête tournée par sa nouvelle position sociale et essaya de prendre le contrôle d'autres imprimeries. Mais très rapidement, son entreprise fut criblée de dettes que la Commission des Dépenses tenta de limiter. Le comité de Salut Public intervint mais les abus continuèrent malgré les plaintes continuelles. Sous le Directoire, selon Baudouin : « Dès l'an IV (1797), la dénonciation contre les dilapidations, les rapines de tous genres, et contre la mauvaise gestion de cette administration se renouvelèrent avec force. En l'an V (1798), à l'occasion du budget de ses dépenses pour 1799, la Commission des finances voulut en opérer la réforme générale. » La majorité des membres de la Commission étaient des amis ou des soutiens du directeur, et il n'en sortit rien. Il eût été mieux pour Baudouin et les autres imprimeurs [Dupont de Nemours et Couret de Villeneuve] de n'y avoir jamais siégé. « Mon confrère, P. Didot, aussi recommandable par ses talens que par sa probité, a toujours partagé ce sentiment qui a motivé son refus de succéder au premier directeur. »

 

« Jusqu'en 1808, l'arrêté du Directoire fut la seule base sur laquelle reposa l'existence de l'Imprimerie de la République [...]. Cependant les caractères exclusivement destinés à l'usage du Gouvernement servaient à des impressions particulières qui lui étaient absolument étrangères : et quoique ces impressions eussent été effectuées avec les caractères et les autres matériaux appartenant à l'État, tout ce qui excédait ses avances et déboursés n'était pas reçu à son profit. »

 

Des retenues ont été faites sur les salaires des ouvriers qui arrivaient en retard dont il n'a jamais été rendu compte. Les contrôles étaient trafiqués et l'établissement renfermait une multitude d'employés qui n'y ont jamais paru que pour émarger les états d'appointements. Suit une longue description des divers abus dont la somme énorme dépensée pour achat de mort aux rats...

 

« Le directeur actuel de l'Imprimerie Royale, dont le droit à cette place est d'avoir fait le voyage en Égypte, n'est donc plus, de fait, qu'un intermédiaire parfaitement inutile entre l'intendant général et le chef typographe. »

 

Paroles désabusées d'un vieil homme certes, qui eût toutefois été inhumain s'il n'avait pas mal vécu d'avoir été écarté des affaires de l'imprimerie de façon si cavalière. Ses dernières années, dans sa maison de banlieue à Antony, furent heureuses, animées par la certitude que ses fils prospéraient.

 

L'article de O.F. Abbot se conclut sur ces mots.

On rappellera l’hommage d’un député inconnu de la Convention évoquant « la prodigieuse activité » de François-Jean Baudouin dont les publications représentaient « l'artillerie de la pensée au milieu des guerres de la Révolution.  »

 

Anne Simonin en collaboration avec Elisabeth Liris pour l'ANR RevLoi

 

 

O.F. Abbott, « François-Jean Baudouin, 1759-1838. Chief printer of the French Revolution, owner of the first imprimerie nationale », The Monotype Recorder, vol. 38, n° 2, 1939, p. 3-10. La traduction ici proposée est la mienne. Les passages traduits sont en italique.