Mémoire sur l’établissement d’une fonderie en caractères de langues anciennes et modernes ou d’une Imprimerie à l’instar de celle du Gouvernement Français.
(8 février 1806)
« L’Imprimerie royale de France est un des plus beaux établissements du règne de Louis XIV. Pierre le Grand fut le contemporain de l’émule de Colbert. L’immortelle Catherine, Frédéric ont aussi protégé les sciences, les belles lettres et les arts. Leurs noms, l’honneur de l’histoire sont à jamais consacrés dans le temple de mémoire avec ceux des Médicis, de Benoît XIV. Ces exemples ne sont pas perdus pour l’héritier du trône Pierre et Catherine.
Par quelle fatalité faut-il que l’art de l’imprimerie aussi justement estimé dans toutes les autres parties d’Europe n’ait pris aucun accroissement dans les États où la Science, les Belles Lettres n’aient été spécialement protégées ?
Pourquoi la Russie et la Prusse n’ont-elles pas leurs imprimeries célèbres à citer. Où sont leur Bodoni, leur Didot, leur Kaas ? Faut-il en accuser les souverains ? Non c’est à la pusillanimité des artistes qu’il faut attribuer la faute. Eux seuls sont coupables.
Effrayés sans doute d’obstacles chimériques, présentés à leurs esprits, terrifiés par les perfides suggestions d’une basse capacité et de l’envie ou par les secrets d’une politique étrangère, ils auraient rejeté loin d’eux, sans vouloir les méditer, les conceptions du génie.
L’éloignement de leur patrie, l’aspérité exagérée du climat a pu glacer leur imagination, mais là où règne Alexandre n’existe-t-il pas une patrie, n’y doit-on pas espérer le bonheur ?
Ah, combien d’artistes courageux et habiles auraient déjà pu retirer de gloire et d’utilité pour la Russie et pour lui-même. Combien l’art de l’Imprimerie, sagement exercée aurait apporté d’avantages à ce vaste empire.
L’Instruction publique rapidement répandue aurait pu voir pour la Russie ces résultats précieux qu’elle mérite d’obtenir. Des établissements indispensbles à sa gloire et à sa prospérité déjà et depuis longtemps en activité ! Une nouvelle branche du commerce eut été ouverte à l’industrie, une exportation considérable d’argent arrêtée, une diminution des prix de moitié effectuée sur le prix des livres.
Ce bel art est resté jusqu’ici obscur et sans gloire. Ainsi Pétersbourg, cette superbe cité, une des premières villes maritimes de l’Europe est dans le commerce de la librairie demeurée tributaire de Paris, de Londres, de Leipzick.
Tel est le funeste effet du préjugé qui range l’Imprimerie dans la classe des métiers. L’imprimeur habile et instruit qui doit à la connaissance approfondie de son art joindre une éducation peu commune serait ignominieusement confondu parmi les simples artisans.
Je suis venu en Russie pour venger la gloire de l’Imprimerie. Ce que jamais personne n’a jamais proposé, je viens en tenter l’exécution. Trente ans d’expérience, et d’un exercice non interrompu me donnent droit à la conviction du succès.
Mon but est de délivrer avec le secours et la protection de sa majesté l’Empereur une Imprimerie qui rivalisera un jour avec l’Imprimerie du gouvernement français et par la beauté de ses types de caractères dans toutes les langues anciennes et modernes et par la perfection de l’exécution typographique.
Les plus grands maîtres se sont efforcés de me fournir leurs talents pour la gravure des poinçons. Pour la fonderie mon zèle saura obtenir la perfection désirée quant à l’exécution typographique, mes preuves sont faites, quelques unes sont déjà dans les mains de sa Majesté, d’autres lui seront bientôt offertes. »